"Surprises de Noël" : trois nouvelles d'Andréï Kourkov dans l'Ukraine post-soviétique

Septième titre de l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov à paraître aux éditions Liana Lévi, ce bref recueil se compose de trois nouvelles inédites liées par l’hiver, Kiev et Noël.

Avec un humour teinté d’absurde, l’auteur met en scène les mutations de son époque, sur le mode du conte, à travers des situations faussement désinvoltes et légèrement déjantées.

Ici, les sociétés traditionnelles, soviétiques et ultra-capitalistes semblent se superposer, dans l’indifférence générale d’une Ukraine en marge du monde, où les compteurs Geiger côtoient les icônes de la Vierge et où les tanks ont des airs de limousines.

« C’est la fin du monde ! se lamentait sincèrement le fonctionnaire désemparé. Tous les gens normaux vont être libérés […] »

La première nouvelle donne le ton. Pour Noël, le narrateur se trouve embarqué avec sa femme dans un périple en forêt. C’est un couple moderne, blasé, en école de business,  incarnant dans le détail le remplacement d’une élite par une autre. Les codes du monde capitaliste semblent avoir envahi le centre-ville où seule l’austérité du climat s’évertue à donner dans la couleur locale. Le beau-frère s’est spécialisé dans le tourisme extrême, notamment pour les occidentaux en mal de sensations fortes. L’Ukraine post-soviétique offre un cadre idéal pour ce type de commerce et les terrains de jeux ne manquent pas : camps, mines, villages abandonnés ou zones irradiées. Au choix. Ce sera l’occasion d’une nuit de la Nativité entre féerie et cauchemar radioactif.

Plus loin, un homme rêve d’enlever la femme qu’il aime à bord d’un char d’assaut immaculé. L’idée fera son chemin, au détour des clubs de strip-tease et des avenues enneigées, dans une combinaison de réalisme magique et de burlesque érotique.

Le livre s’achève en prison. Oleg a fini par s’y plaire. Le personnel est de bonne compagnie, la bibliothèque bien remplie, et si les cellules sont humides, la culture des champignons s’avère être une distraction tout à fait passionnante. Mais la Révolution Orange va changer la donne, au grand désarroi des gardiens désormais condamnés à surveiller de véritables criminels. Quant aux champignonnières, l’arrivée du chauffage central en signera la fin.

« Je viendrai sous ta fenêtre, une nuit d’hiver, à bord d’un tank d’une blancheur de neige. »

À partir de situations banales, Kourkov s’insinue dans les interstices de cette société post-soviétique, à l’heure de la musique de masse et des complexes commerciaux monstres, où la véritable liberté ne semble s’incarner que dans le bizarre, aux frontières de la légalité ou dans les profondeurs de la nuit.

Si l’absurde est une composante essentielle de ces trois nouvelles, on est loin de l’univers glacial d’un Kafka ou des extravagances d’un Gogol. Le ton y est délibérément enjoué, malgré les fêlures sous-jacentes, et la trame s’inscrit dans un contexte économique et politique précis. Le décalage se joue sur des objets, des images et se réalise à travers l’apparente passivité des personnages, ou, plus exactement, à travers leur faculté d’adaptation devant la tournure des événements.

Si le style n’a rien de bouleversant en soi, on retiendra pour finir l’essentiel : un véritable enthousiasme chez Kourkov pour raconter des histoires et créer des atmosphères captivantes, et ce bien au-delà des constats véhiculés à travers ces nouvelles. Un enthousiasme contagieux donc, frustrant aussi, devant la brièveté de ces surprises qui tombent à point nommé, et ne manqueront pas d’attiser la curiosité quant au reste de l’œuvre.

Arnault Destal


Andréï Kourkov, Surprises de Noël, traduit du russe par Paul Lequesne, Liana Lévi, « Piccolo », novembre 2010, 64 pages, 4 €
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