L’Est d'Andrzej Stasiuk : escapade littéraire en Europe centrale

Ceci n’est pas un roman, mais un récit. Donc ne vous attendez pas aux prouesses stylistiques d’un Gombrowicz, par exemple. Même si. Car Andrzej Stasiuk est une figure majeure de la littérature polonaise. Mais il œuvre plutôt dans les récits de voyage, écrits au gré de ses périples dans l’est de l’Europe.
L’Est. Nous y voilà.
Cet écrivain-bourlingueur a toujours fui la civilisation. Échappant aux mondanités de Varsovie que son succès attira, il joue désormais l’ermite en Basses-Carpates. Aux confins du sud-est de la Pologne.
Décidément, l’Est encore.
Mais qui a-t-il de si particulier dans l’orient de l’Europe ?
Un prétexte sans aucun doute. Une manière de puiser l’inspiration au cœur de la nature. Une façon de tenter de trouver du sens à l’existence. Mais, au fond, la seule raison c’est le voyage intérieur.
Au-delà de la géographie sauvage des confins du grand Est – magistralement dépeints – demeure le voyage introspectif. L’enfance. La jeunesse. L’empreinte du communisme. Le traumatisme du communisme… et son corollaire dans la vie intime.

Andrzej Stasiuk est né en 1960. Il a donc vécu une bonne partie de sa vie au sein de la dictature soviétique. Si enfant l’idéologie marxiste ne lui disait rien, adolescent ce fut une autre affaire. Découvrant dans les livres de Pearl S. Buck la famine qui ravageait la Chine sensée être au firmament de l’univers grâce à Mao… le réalité le rattrapa. Seule la fiction pouvait le sauver.
Si la Pologne est désormais notre égal, Andrzej Stasiuk n’en oublie pas ses racines. Il veut retourner aux sources. Ce berceau d’un communisme à visage humain qui allait sauver le monde. C’est oublier l’été 1947 et la purification ethniques de certains villages. La chasse aux Ukrainiens. L’opération Vistule.

Si l’Est fascine, il fait peur aussi. Autant de ressenti que l’auteur appréhende. Sensations fortes pour auteur engagé. Dire quoi qu’il en coûte. Rapports politiques, mentaux, culturels. De la Sibérie à la Mongolie. En Chine. Au Kirghizistan… Voyages dans le temps suspendu. Etudes à l’ancienne. Scrutant la mémoire des Hommes. Les racines des peuples. Le camarade Stasiuk n’omet rien. Et garde son humour ravageur : les pages consacrées à la Chine sont d’une drôlerie salvatrice.

Plus on s’éloigne de son lieu de vie, plus on se rapproche de soi-même.

L’Est c’est aussi celui de la Pologne. La rivière Bug. Le village où sont nés ses parents. Les vacances chez sa grand-mère, medium qui communiquait avec les esprits.
Ce sera aussi l’arrivée de l’électricité dans les campagnes. L’industrialisation à outrance. Le rêve brisé…

Escapade littéraire en Europe centrale. Lieu trop souvent oublié et trop systématiquement décrié ces temps-ci. Or c’est aussi le berceau de notre civilisation. À ne pas oublier, l’Est. À découvrir ici avec ce grand écrivain-voyageur…

Annabelle Hautecontre

Andrzej Stasiuk, L’Est, récit traduit du polonais par Margot Carlier, Actes Sud, octobre 2017, 320 p. – 22,80€

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