Charles Juliet à l’épreuve du temps

                   

 Charles Juliet, « La fracture », mise en livre et réalisation d’Anik Vinay, Atelier des Grames, Gidondas

 

Ce texte est le récit d’un noyé qui s’est finalement sauvé. Loin de toutes extravagances ou halluciçnations l’auteur ramène au visible l’absente : la mère dont il fut retiré  Juliet remonte le temps et permet de penser ce qui ne pouvait se penser dans cet ultime texte d’un ensemble de douze inédit qui permet de sortir de la « folie du croire entrevoir » cher à Beckett. Loin de l’illusion de la perception ce qui défie l’entendement permet de sortir de du croire afin d’entrer sinon dans le réel du moins dans la réalité de ce qui fut. Juliet enfonce le clou non dans le cercueil de la mère mais - à travers des anecdotes qui lui permettent de la « rencontrer » - dans le bois de la détresse pour la bloquer. Celui qui fut longtemps muet et muré découvre une lumière autre à l’image noire. Amorcé très tôt, la descente aux enfers de l’auteur débouche sur un seuil de sérénité. Désormais Juliet accède au « vrai » silence : non celui qui lui fut imposé mais celui qu’il peut choisir si le besoin s’en fait sentir.

Les 12 œuvres publiés par Anick Vinay trouvent donc avec  « La fracture » non un plongeon dans l’abîme mais une remontée.  Juliet l’indélébile et l'un des grands créateurs de l’époque atteint un accomplissement existentiel. Ses mots ne sont plus des témoins inassermentables : ils finalisent le métier de vivre : il n’atteint pas ici sa retraite mais une forme de paix. Pactisant avec la première des femmes - celle de son mal, de son  manque - le poète inscrit une renaissance. Certes elle n’a rien d’une épiphanie triomphante. Le temps n’est plus propice à une telle envolée. La prose est là pour le prouver : elle dit simplement qu’il faut plus croire à la vie qu’à la mort. L’œuvre trouve ainsi une ouverture, en découvrant  enfin ce que Beckett cherchait dans la littérature  "la voix qui dit / vis / d'une autre vie". La vie d’ici bas, d’ici même. Bref telle qu’elle est une fois que le silence imposé est enfin déchiré par cette confession intime qui refuse toute concession au lyrisme : il serait déplacé.

Jean-Paul Gavard-Perret

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