J’irai revoir la Normandie - Jacques Moulin

La Normandie maritime et le pays Cauchois de Moulin n’ont rien à voir avec ceux de Maupassant.  Tout sent ici la rouille et le cambouis. Ce sont les lieux des containers qu’un autre « pays » a si bien photographié  dans le même esprit que le poète : Jean-Claude Bélégou. Exit les verts pâturages : le décor est fait de poutrelles, de digues. Il est éclairé artificiellement d’énergie électrique. Cet univers sinon hostile du moins revêche au romantisme classieux ne gâche en rien la poésie. Au contraire puisqu’elle rameute ce qui en faisait pour Baudelaire la moitié souvent oubliée : la modernité. Elle se double ici de la forme même du poème.  Les cinq portiques du livre « grutent» des paragraphes physiquement comparables dans leur rectangle à un container. Les segments phrastiques s’y apposent, s’y stockent sans signalétique de ponctuation. Chaque poème devient un volume compact en 2D quoique lisible par « la trame des mots perdus dans le syntaxe ».

 

Quarante ans après le « Manifeste électrique » des poètes Buin, Bulteau et Sautreau, Jacques Moulin offre par la pratique un manifeste d’une poésie plateforme que ne renierait pas Houellebecq.


Superpositions, empilements, emboîtements : la frénésie de l’énergie se concentre mais reste en marche ou au pire en attente. Scénarisant le broc des briques d’acier l’auteur  trouble l'effet miroir du poème afin de montrer une autre « vérité ». Il rappelle de la sorte les tentatives récentes des écoles poétiques méconnues du spatialisme au bruitisme des syncopes électroniques.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Jacques Moulin, « Portique », Dessins d’Ann Loubert, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 64 pages, 1O €, 2014.

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