Céline Curiol & Anne-Marie Garat : deux nouvelles Essences

La collection Essences d’Actes Sud accueille deux nouveaux pensionnaires après son ouverture, en mars 2013, avec les ouvrages de Cécile Ladjali et Lyonel Trouillot dont Annabelle vous avait détaillé les charmes. Car, en effet, outre la lavande de la couverture, cet écrin de papier est consacré à la subtilité, à l’art du détail, à tout ce qui permet l’évocation, l’excitation de la pensée. Et c’est bien par le parfum que l’on peut convoquer à satiété les images de nos vies. Par exemple, chaque fois que je ressens le doux nectar de l’herbe coupée, se sont immédiatement des images de mon enfance, dans la propriété de mes grands-parents, qui viennent presser ma cage thoracique d’une douce présence, comme le chant des corneilles qui éveillent aussi ces longues nuits d’été au bord du lac…

 

Anne-Marie Garat joue de cette nostalgie dans son court récit, empreint de lumière et de calendrier des Postes, de sirop et de vieilles photographies six six, prises au Rolleiflex. La narratrice vient dire au revoir à une maison de famille, et elle se sent forte de n’éprouver aucune émotion, crânant quelque peu jusqu’à ce que la magie des essences fasse son œuvre. Au fil du temps, les odeurs de l’été appellent la rémanence des faits marquants et alors le paysage change, le temps se déroule à l’envers, d’un détail se reconstruit une vie, un destin, du grand-père parti aux champs d’honneur, revenu des enfers, au laboratoire aux effluves extraordinaires provenant des bains de développement de ces photos noir et blanc, tournant au sépia, témoins d’un temps à jamais disparu…  

Tendre et poétique, la trame narrative déroulée par Anne-Marie Garat (prix Femina en 1992, pour Aden, paru au Seuil) vous prend par les tripes ou vous renvoie, avec elle, au pays des souvenirs. Un (trop) court moment de bonheur.

 

Céline Curiol vous propose une plongée en cinq étapes, à lire dans l’ordre de votre choix, pour vous prendre par le bout du nez et vous entraîner à sa suite dans la quête infinie de toutes ces petites odeurs qui, parfois, passent inaperçues. Alors qu’en réalité, elles participent à l’élaboration de tout ce qui construit votre environnement, et donc vos souvenirs. En effet, certains l’affirment – et j’en suis – que l’on est capable de sentir une odeur à partir de son seul souvenir. L’herbe fraîchement coupée me renvoie à mes vacances enfantines chez mes grands-parents. Inversement, me remémorer les jardins appelle immédiatement cette douce fragrance au sein même de mes narines. Avons-nous certains neurorécepteurs tapis au fond de la cavité nasale qui fonctionnent en sens inverse, l’influx nerveux descendant du cortex, dossier « mémoire d’enfant » ?

Dans tous les cas, au-delà des querelles scientifiques, nous sommes certains à ressentir cette particularité pour des souvenirs marquants. Céline Curiol en joue en décortiquant tous les détails des odeurs qu’elle croise d’une ville l’autre, d’un parc à une piscine municipale, d’un immeuble populaire à un lobby de grand hôtel. D’une narration fluide et érudite, elle nous attire dans ce grand maelstrom odorant et envoûtant, et on se laisse prendre au jeu avec gourmandise.

 

Deux petits livres piquants d’imagination et de trouvailles.

 

François Xavier

 

Anne-Marie Garat, La première fois, Actes Sud, coll. "Essences", novembre 2013, 54 p. – 12,00 €

 

Céline Curiol, À vue de nez, Actes Sud, coll. "Essences", novembre 2013, 140 p. – 17,00 €

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