La Place, d'Annie Ermaux

Comme dans son livre une femme, où la narratrice cherchait une vérité sur sa mère, Annie Ernaux éprouve dans la Place le besoin impérieux de dire, d’« écrire au sujet de [son] père, sa vie, et cette distance venue à l’adolescence entre [elle] et lui ».


À travers une écriture plate, factuelle, nourrie par le souvenir et les archives familiales, l'auteur met au jour la condition de son père – d’abord garçon de ferme, puis ouvrier d’usine, petit commerçant enfin –, et les efforts de celui-ci pour s’affranchir d’un milieu pauvre et quasi illettré.


La narratrice insiste surtout sur la distance inéluctable séparant progressivement une fille érudite, mariée bourgeoisement, d’un père attaché au travail manuel, déclarant n’avoir besoin ni de livres ni de musique pour vivre.


Cependant, la professeure de lettres ne rassemble pas seulement les paroles, les gestes, les goûts de son père, les faits marquants de sa vie, elle révèle avec force détails tout un héritage culturel, mœurs, goûts, valeurs…


« Faire paysan signifie qu’on n’est pas évolué, toujours en retard sur ce qui se fait, en vêtements, langage, allure. Anecdote qui plaisait beaucoup : un paysan, en visite chez son fils à la ville, s’assoit devant la machine à laver qui tourne, et reste là, pensif, à fixer le linge brassé derrière le hublot. À la fin, il se lève, hoche la tête et dit à sa belle-fille : ‘’On dira ce qu’on voudra, la télévision ce n’est pas au point’’. »


Les épreuves et le caractère du petit commerçant, les humiliations sociales, la déchirure de classe au sein même de la famille, tout cela est représenté dans un style dépouillé à l’extrême et coupé de toute forme de complicité avec le lecteur – dérision, nostalgie, pathétique.

En rendant compte d’une vie soumise à la nécessité et en rejetant le parti de l’art, Annie Ernaux nous offre une œuvre dense et bouleversante.


Lotus


Annie Ernaux, La Place, éditions Gallimard Folio, 1983, 114 pages, 5.20 €.

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