Annie Le Brun, "Les arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo"

La maison de Victor Hugo, plage des Vosges, à Paris, invite Annie Le Brun du 15 mars au 19 août 2012, pour célébrer le noir, cet éblouissement qui jaillit des dessins, peintures et gravures que Victor Hugo a réalisées tout au long de sa vie. Car Victor Hugo sait dessiner depuis sa plus tendre enfance, ses cahiers de collégien le démontrent, où figurent en bonne place caricatures et dessins. Ainsi, toute son œuvre littéraire sera accompagnée d’images qui porteront ce décalage qui ne parvient pas toujours à s’inscrire dans l’écrit, venant d’une influence certaines de ses aînés mais aussi à force de puiser dans les tréfonds de l’âme ce qu’elle a de plus obscure... 

Folie des livres lus, folie d’un frère qui y succombe, folie d’amours contrariés, ou d’amours fusionnels qui ne seront jamais sélectifs mais le porteront vers toujours plus d’entrain... L’époque aussi, qui le fait voyager toujours avec un croquis à la main, notes écrites bien entendu mais surtout dessins et croquis habillent les pages noircies au fil de ses pérégrinations. Par le dessin, Victor Hugo libère sa pensée, s’impose une distance avec le voyage réel, et laisse libre cours à son imagination. 

"Je tâche de tout voir afin d’avoir une idée complète et définitive de ce beau pays", écrit-il en 1839 lors d’un voyage en Suisse. Puis ce sera la Belgique où il croisera les œuvres de Rubens qui vont le foudroyer. Il est obsédé par la sensualité qui se dégage des tableaux : c’est un peintre excessif, extravagant. Il y voit une réelle violence. Il voit surtout en lui-même et se découvre poète de la démesure, attiré par l’outrance...


Et alors tout va changer, Victor Hugo n’aura de cesse de nous (dé)montrer, à partir de presque rien, le détail qui nous permettra l’ailleurs, de nous faireextravaguer. Ainsi, Le Rhin sera le grand révélateur : avec l’aide de la métaphore, Hugo propose un livre qui n’est pas une peinture d’un fleuve mais une réflexion sur l’histoire, fruit d’études mêlées s’insérant dans une moisson de poésie et de souvenirs. En opposition au fleuve qui s’écoule, Burg dans la nuit frappera le lecteur par sa verticalité toute de tours hantées et de ruines menaçantes hérissées comme autant de pics venus chatouiller les consciences.


Victor Hugo aura donc eu le génie de découvrir cette arche de l’infiniqui manque, ce défendu qui illumine et attire l’homme au bord du gouffre pour pouvoir se repaître de la vue du feu des enfers... Ainsi, pour être le premier à cueillir la fameuse fleur de Mallarmé, il n’hésitera pas à s’enfoncer toujours plus loin dans la nuit sereine et orageuse, ce fond de fumée car c’est uniquement ainsi que l’illimité qui se refuse sera vaincu. La conjecture comme solution...


Cette exposition exceptionnelle et ce livre admirable démontrent combien l’anathème dont fut victime Victor Hugo - tant de la part de Gide, Claudel voire Breton - visant à l’exclure de la modernité, est inutile, et surtout stupide ! Gageons que se ces donneurs de leçon avaient eu connaissance de tous les dessins retrouvés dans les années 1950, leur jugement aurait été tout autre. Car leur examen démontre combien Hugo était bien le précurseur du surréalisme et de l’abstraction ! 

D’ailleurs, il est désormais considéré comme un visionnaire, mais c’est une nouvelle fois l’enfermer dans une codification qui n’a pas lieu d’être tant l’œuvre hugolienne s’est affranchie de tous les carcans possibles. C’est sans doute son œuvre poétique au lyrisme exalté qui aura déterminé son engagement illimité contre l’indicible afin d’en briser les murs qui tenteront toujours d’emprisonner l’horizon. C’est par la poésie que Victor Hugo dressera son arche de l’infini qui écartera les pans de l’obscur, le forçant à s’ouvrir... 


"Au mépris de tout ordre, de toute convention, de toute convenance, elle ramène la violence de la vie au cœur du langage", conclut Annie Le Brun.


François Xavier


Annie Le Brun, Les arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo, coll. "Art et Artistes", Gallimard, mars 2012, 145 p. 19,00 €

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