"Expérience Blockhaus" - Une aventure collective dans le sillage des grands brûlés du verbe

Il y eut, dans la deuxième moitié du XXe siècle, loin des chapelles littéraires et des positions d’avant-garde, un  "béton noir décapité de sa butte", selon les mots de Nicolas Rozier. C’était une aventure qui se poursuivait sans laisser de traces dans les agendas de la poésie identifiée. Une sorte de brasier émettant de la fumée noire et qui rappelait par ses signaux les grands brûlés du verbe : Antonin Artaud en toute première ligne. Autour de José Galdo, ces partisans de la dislocation menaient un autre combat que celui du texte pour le texte. Ils ne désossaient pas artistiquement la langue. Ils montraient l’os des détresses dans un monde où l’organisation des apparences avait triomphé de toutes les questions de fond. 


Il s’agissait de reprendre le fil à partir de Nerval, de William Blake, de Nathaniel Hawthorne en déroulant le pas grave des mots dans le refus du jeu, sans programme ni manifeste. Pas de plan combiné qui aurait fait école. Pas de cérémonial susceptible d’élever une statue dans l’histoire de la littérature. Ce collectif d’étoiles filantes est aujourd’hui fixé dans le marbre d’Expérience Blockhaus et c’est une brassée de flèches hors du temps, hors des modes, hors la pose. 


Il était une fois la poésie selon Bunker, selon Blockhaus, deux éclats, un même groupe éclaté. Quelque chose d’aussi vaste que NEON (N’Être Rien, Être Tout, Ouvrir l’Être Néant), revue surréaliste où s’imprime le nom de Stanislas Rodanski comme un court-circuit. Activistes spectreux, Lucien-Huno Bader, Jean-Pierre Espil, José Galdo, Francis Guibert et Didier Manyach arpentaient les années 1970 en se souvenant du Grand Jeu et de ses dialogues avec l’Être. Ils ne plaisantaient pas. Ils n’étaient adeptes ni de la dérision ni de l’électrique attitude. Toujours ailleurs et de cette façon plus difficile à repérer, ces solitaires allaient à la recherche de l’essentiel en trempant leurs mots dans des feux allumés par Jean-Pierre Duprey, Jacques Prevel ou encore Bernard Réquichot. Ce livre est là pour témoigner d’une bataille poétique éminemment dangereuse car ses enjeux, toujours actuels, sont de répondre à l’attaque des paillettes par "la lutte vers le fond". 


Guy Darol


Lucien-Huno Bader, Jean-Pierre Espil, José Galdo, Francis Guibert, Didier Manyach, préface de Nicolas Rozier, collages de Françoise Duvivier, Expérience Blockhaus, Éditions L’arachnoïde (www.arachno.org), mai 2012, 95 p., 15 €

1 commentaire

Magnifique papier sur cet ouvrage auquel nous aurons donc deux -- et davantage au jugé du  nombre de poètes publiés dans ce livre -- raisons de nous confronter en nous-y-frottant en nous-y-piquant, sans craindre de nous y brûler... quoique, si c'est le risque encouru à le découvrir, pourquoi pas, nous tâcherons d'y danser, enflammés. Merci, Guy, pour ce partage.