Didier Ayres, Un poète par le Feu

C’est à une cérémonie secrète que nous convie Didier Ayres dans les poèmes qui composent la première partie du livre, « Flamme ou le travail de nudité », qu’il vient de publier aux éditions Arfuyen. D’emblée, il sait qu’il doit trouver les mots justes, la prononciation juste : l’efficacité du rite en dépend. Comme dans toute pratique magique, même si celle-ci s’exerce uniquement par le Verbe, par un verbe poétique, il a à sa disposition toute une panoplie d’instruments symboliques : le cercle, l’eau, le sel, le sang, le feu, le Nombre, l’épée… Voici comment il officie :

 

« Empare-toi des cercles de feu de nos deux cœurs

revêts trois fois le vêtement royal et la robe de sang

et disparais car je suis mortel et difficile. »

 

Pour lui, la vie elle-même est une fiction. Il n’y a pas de réel, de réel véritable, sans légendaire. Cela naît en lui d’une sorte de musique, d’une ritournelle entendue dans l’enfance qu’il réinvente avec sa voix si singulière. Il écrit : « L’expression de ce ton profond et secret est comme enfantine. Et demeure très fort dans l’enchantement. » Cela prend souvent la forme d’une incantation :

 

« Porte-moi dans le peuplier

apporte le sommet du vent

une fois venu le grand symbole des nuits

où l’hiver est pur

car tu as bu la coupe de feu

l’or l’or et l’or. »

 

Ce poète creuse l’obscur par l’obscur pour en dégager une clarté étrange. En effet, son style est simple et limpide, mais quelque chose résiste au bout du signe, s’obstine à rester voilée : l’énigme, insoluble, d’être au monde. De cette confrontation naît la lutte, incessante, dans la langue, avec son angoisse et sa mélancolie, sa solitude et sa violence. C’est moins la signification qui importe dans les poèmes de Didier Ayres – même si celle-ci se révèle, presque par inadvertance, au détour d’un ver –, que l’évocation elle-même. Il nous invite à mettre en œuvre « l’homme du dedans », à dialoguer avec nos doubles, à retrouver l’émerveillement et le mystère, y compris avec son tragique, de l’enfance.

 

Dans la deuxième partie du livre, il nous livre ses carnets. C’est là que s’opère plus précisément ce que l’auteur appelle son « travail de nudité ». La forme qu’il adopte est celle du fragment, plus propice au resserrement, au dépouillement des oripeaux littéraires. « Griffer, biffer, réduire », écrit-il. Mais de quoi un fragment est-il le fragment, sinon d’un ensemble plus vaste, d’une totalité ? Didier Ayres porte en lui l’idée d’un livre total, mais il sait que la fatalité de toute œuvre est d’être condamnée à l’inachèvement. Il sait que « tout raconter est impossible ». Ses fragments sont comme des morceaux de tissu qu’il coud ensemble. Il manie l’aiguille. Il tisse, il file, il répare. Parfois il sépare pour mieux lier. « Là où je peux réparer et être réparé. La nouvelle naissance, le souffle neuf, le langage comme vif argent, la lutte. Comme une espèce d’enfantement. » Dans sa langue « passent le feu et l’ignition ». Elle est traversée par le feu. Didier Ayres : une sorte d’alchimiste, un poète par le Feu.

 

Alain Roussel

 

Didier Ayres, Flamme ou le travail de nudité, Arfuyen, mai 2014, 188 pages, 14 €

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1 commentaire

Merci pour cette lecture et bel article qui donne en effet envie de découvrir ce poète!