Gabrielle Althen, Soleil patient : "Pour que chaque jour la parole m'éveille"
Le cœur inavoué
Membre des jurys des prix Mallarmé et Louise Labbé, elle signe aux éditions Arfuyen un recueil étincelant comme un ossuaire (ou comme « les pains d’or du jour »…) qui interpelle d’un toucher d’âme si peu insistant (mais ranimant « l’aigu de la lumière »…) l’essentiel et l’immensité qui s’impatientent en chacun :
L’incroyable t’aura touché la main, puis il est reparti,
Sans laisser de restes.
Cet incroyable-là surgi de l’agencement inattendu des mots et de leur heureuse disposition « soustraite au hasard » exerce son pouvoir souverain d’ébranlement qui fait révélation :
Le bleu qui ne veut pas chanter écrit par phrases
Noires qui ne donnent pas d’ombre.
Une révélation qui n’advient que de profondeur en profondeur – celle d’abord d’un trésor partagé au cœur du langage « remis en son état naissant », célébré en réjouissance profonde au large du convenu dans cette zone d’incertitude et d’inconfort où seule s’invente, contre la langue si commune, la parole poétique vécue et habitée en densité et plénitude comme au bord d’un « tombeau toujours ouvert » :
Je ne suis pas à ma place dans l’abri de mon cœur
Les routes sont coupées
Je suis le sans-abri
Pourquoi aussi avoir quitté ce que j’aimais
Ce cœur est une enceinte vide
Moi un oiseau de malheur
C’est le pardon qui a séché
Un jour je referai le beau bouquet
De mes désirs
Et je le poserai sur un autel vacant
En parfaite « rupture » avec l’emprise du signe convenu en son opération usuelle de représentation, Gabrielle Athen convie à ce perpétuel exercice de métaphysique concrète rappelant l’être à sa vérité et le rendant à sa demeure sans territoire :
Clairière, baiser
De ciel sur les herbes fragiles
Une liqueur dans ta bouche cherchant son goût de fleur
La mort légère encore le long du jour sensible
Te souviens-tu ?
Et un rire invisible frisonne.
Les mots portés à l’incandescence de la poétesse conduisent, « derrière les fins rideaux de larmes » vers un « printemps à main noire » ou une « gare sans départs ni triage ni fards /où devraient bien passer des anges » - ou vers une jetée pour plonger dans le rien, lesté de telles paroles d’éveil…
Je regagnai prudent les mots que l’on habite
Des mots dont l’énigmatique transparence ouvrant une vue sans échappatoire sur l’ossuaire n’autorise, après avoir fait silence, que le réveil dans l’écriture et l’incertain – rien moins que la traduction du langage en vertige dans un temps enfin délivré…
Nos corps sont des colombes
Le feu passe au travers
Le temps repose sur cette nudité
La discrétion dilue sa densité
L’écriture-élixir de Gabrielle Althen est tout à la fois ravissement et arrachement, coulant comme sève sur le clavier de pas nus coupant les amarres – ou tintant comme diamants d’annonciation contre la vitre…
Gabrielle Althen, Soleil patient, Arfuyen, mai 2015, 142 p., 14 €
Première version parue dans les Affiches-Moniteur
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