Georges de La Tour, la flamme qui veille

L’œuvre de Georges de La Tour frappe par sa cohérence, la qualité absolue de la composition, le choix des couleurs, une unité qui n’est en rien uniformité. Elle se tient dans un registre défini, étroit en apparence, large par sa portée, sa densité, son esthétique poussée presque jusqu’à un infini fait de beauté pure, de silence vrai et de vérité humaine. Elie Faure disait que cette œuvre « fait bloc…que rien ne s’effondre, l’esprit et la matière se pénètrent l’un l’autre». L’inspiration chez ce peintre ne s’épuise jamais, elle avance sur son chemin et peu à peu se spiritualise. Le pouvoir de la nuit qui envahira au fil des années ses tableaux en transfigure le sens immédiat. La Madeleine de La Tour, thème repris et repris, « ne craint pas la nuit, elle s’en drape » ainsi que le note Barbara Lecompte dans son nouvel ouvrage sur la pénitente, l’orante devant sa flamme, image d’incandescence que l’obscurité enveloppe.

Oublié pendant plus de deux siècles, l’artiste est désormais universellement célèbre. Il faut remercier celui qui parmi les premiers l’a tiré autour de  1915 de cette disparition imméritée, l’historien d’art allemand Hermann Voss. Sans oublier le professeur Jacques Thuillier, mort en 2011, homme aussi savant que généreux. On attribue une quarantaine d’œuvres à La Tour. Une petite vingtaine de ses toiles sont en possession des musées français. A Vic-sur-Seille où il naît en 1593, on peut voir depuis 2003 un tableau fascinant par sa puissance évocatrice, sa lumière qui en s’estompant agrandit singulièrement la dimension du simple fait en soi. Il s’agit de Saint-Jean Baptiste dans le Désert, acheté par le Département de la Moselle en 1994.

La Tour déconcerte, interroge. Regardez par exemple La Femme à la puce, de 1638.  Le sujet garde à jamais une part de mystère. Chez lui, il semble que l’intériorité soit le gage de la supériorité. Les voleurs et les trompeurs nous prennent à témoin de leurs méfaits comme les mères et les saintes de leurs bienfaits. « La Tour invite son public à dépasser le sujet de son œuvre en suggérant ce qu’on ne peut pas voir : n’est-ce pas la profondeur de l’âme humaine, dans son éclat et son dénuement qu’il a voulu représenter ? ». L’homme peut surprendre par son existence, il « se rend odieux au peuple par la quantité de chiens qu’il nourrit » écrit Barbara Lecompte qui le replace dans le contexte de l’époque. La Tour a l’esprit de son temps, ses contemporains sont Pascal, Descartes, Claude Gellée, Le Caravage. Il meurt en 1652, à Lunéville. Voir ses tableaux est un enchantement qui se renouvelle. René Char, pensant à Job raillé par sa femme, écrit que « c’est une œuvre qui serre le cœur mais combien désaltère ».

Avec les Madeleine, la narration est concentrée. Le feu de la chandelle que l’on voit est aussi intérieur. Barbara Lecompte, déjà auteur de plusieurs ouvrages qui séduisent par l’écriture et leurs angles d’approche artistiques et historiques (« Tableaux d’Empire » en 2012), prend la longue suite de ceux qui aiment Georges de La Tour. Elle ne fait pas un travail d’historienne, sa main écrit ce que lui dicte son regard devant ces différents visages de la « pécheresse ». Elle invite le lecteur à voir à son tour qu’il y a derrière « un dépouillement extrême une modernité saisissante ». La Tour est immense, aucun texte ne l’assèche, il dépasse toujours ceux qui s’en approchent. Mais il est aussi celui qui parle à chacun et ces pages sont les compagnes de ceux qui le découvriraient. Dommage que l’ouvrage ne comporte pas d’illustrations - au moins une aurait été suffisante - en couleur. Le propos y aurait encore gagné.

Dominique Vergnon

Barbara Lecompte, Madeleine ou l’incandescence, 12,5 x 20,5 cm, éditions arléa, mai 2018, 90 pages, 16 euros.  

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