Laureline Amanieux : « Nous sommes les héros de nos vies »


La force des mythes pour changer la vie


Laureline Amanieux se passionne pour les mythes dans ses deux derniers livres : Ce héros qui est en chacun de nous, La puissance des mythes (Albin Michel, 2011) et Une vie positive, s'ouvrir à la force bénéfique des mythes (Payot, 2012). Et sa passion est communicative.


Les mythes nous semblent appartenir à l’histoire de l’humanité, au passé. Et, par là, ils nous semblent loin de nous. Ils ne semblent plus nous concerner. Or, la fonction des mythes est d’exister au présent, pour toujours. Ils ont constamment une lumière à nous communiquer. Un message à nous faire passer. Et ce message, c’est nous-mêmes qui devons le trouver. C’est chacun de nous. Et ce message peut être différent pour chacun d’entre nous.


Est-ce que cela veut dire que les clés pour triompher des difficultés de la vie sont toujours en nous, cachées à l’intérieur de nous ? Oui, et la connaissance des mythes peut nous donner des pistes pour les débusquer, jusque dans les profondeurs les plus abyssales de notre inconscient. Ces clés dont on ne connaît ni la forme, ni la couleur, ni même la taille, elles existent. Cela, nous en sommes sûrs. Elles existent et nous font signes.


Ce que nous apprend Laureline Amanieux, de livre en livre ? Nous sommes nous-mêmes les créateurs de notre vie. À chaque instant. Et nous pouvons lui donner le sens souhaité. Rêvé. Oui, à partir du moment où nous ouvrageons en nous-mêmes avec lucidité cette flamme qui est d'avancer, de triompher. De triompher, c’est-à-dire de tirer toujours des épreuves les enseignements qui s'imposent et qui nous permettent de faire en sorte qu'elles ne soient que des étapes, ces épreuves. Des étapes dans l'accomplissement de soi qui a lieu à chaque instant.


N’oublions jamais, semble nous dire Laureline Amanieux, dans toutes ses réalisations, que chacun est le jardinier de lui-même. Chacun peut faire en sorte de cultiver ce jardin qu’est son intériorité, de faire en sorte que les plus belles fleurs y poussent. Car en modifiant son intériorité on modifie en profondeur sa vie. Toute sa vie. Et même si un orage passe, qu’il y a pénurie d’eau pendant un certain temps, le jardin reste là, toujours à disposition, à portée de main. Même quand tout semble terminé pour nous, même quand tout semble plongé dans la nuit, même quand tout semble sans espoir, ce jardin, il est possible de le cultiver de nouveau. Et encore. Et encore. Puisqu’il ne change pas de place : il reste en nous, quoi qu’il arrive, et nous, bien sûr, nous restons là. Dans le monde. Dans la vie. Ce jardin, il est notamment possible de le cultiver grâce aux mythes. Aux messages immémoriaux mais tellement d’actualité qu’ils glissent jusqu’à nous. Jusqu’au présent de notre vie. Pour toujours et à jamais.


Nos désirs les plus profonds ne sont pas en nous par hasard. Ils sont présents en nous pour que nous puissions les réaliser. Car chacun de nos désirs les plus profonds nous appartient en propre. Est fait pour nous. En quoi les mythes nous aident-ils à les découvrir ?

Les mythes sont des récits fabuleux qui parlent directement à votre inconscient, donc à la partie la plus profonde de vous, celle qui détermine une grande partie de vos actes et de vos choix conscients. Quand vous lisez l’un des mythes fondamentaux de votre culture ou d’une autre culture, c’est comme si vous preniez un café avec votre inconscient pour dialoguer avec lui. Et il a beaucoup à vous conseiller.

J’ai été très marquée par les mythes des chamans de Sibérie : souvent une jeune personne se promène dans une forêt ou le long d'un rivage, quand soudain, elle entend une voix qui lui révèle son destin. Elle est appelée à devenir chaman pour soigner les autres. Ce mythe contient un message : écoutez votre petite voix intérieure, écoutez cette musique intime, celle qui vous appelle à vivre l’aventure de votre vie. Il n’est jamais trop tard. Une fois votre désir profond déterminé, transformez-le en objectif professionnel ou en activité à côté de votre travail.


Pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert la pensée du mythologue américain Joseph Campbell, né en 1904 et décédé en 1987.

C’est ce professeur de mythologies comparées qui a le plus influencé ma pensée : « suivez votre bonheur et des portes s’ouvriront là où il n’existait auparavant aucune porte », disait-il. Il y a un certain Steve Jobs qui a fait de cette citation son cheval de bataille en tant que dirigeant d’Apple : « Follow your bliss »…

J’ai découvert la pensée de Campbell en vivant en Californie puis à New York, à travers ses œuvres et une série d’entretiens qu’il a donnée à la télévision américaine. Joseph Campbell est très célèbre aux USA, en particulier pour deux livres Le héros aux mille et un visages et Puissance du mythe.

Dans ces livres, il a montré qu'on pouvait retrouver un même scénario, celui de la quête du héros, dans les mythes et les religions du monde entier et que ce scénario, on pouvait même l'appliquer à notre vie, pour nous épanouir. J’explique les étapes de cette quête dans mon essai consacré à Campbell.

Ces théories ont été rendues célèbres par Georges Lucas, qui a écrit les films Star Wars en suivant pas à pas les analyses de Campbell. Celles-ci ont été reprises ensuite dans tous les domaines : en cinéma, en littérature, en psychologie, par les écologistes ou des politiciens, et largement diffusées dans le grand public. Puissance du mythe était même le livre de chevet de la mère de Barak Obama.


En quoi la pensée de Campbell est-elle une lecture à hauteur d’homme, à hauteur de vie humaine, de tout ce qui par essence nous dépasse, à savoir les mythes ?

A hauteur d’homme, c’est très important ce que vous dîtes. Campbell réinterprète pour notre monde moderne les mythes anciens. C’est la force de ces récits fabuleux de pouvoir, à chaque époque, nous guider par des symboles qui rassemblent la sagesse de l’humanité. Le mythe nous apprend que nous sommes le héros de notre propre vie, nous en sommes les dieux créateurs. Il ne faut pas comprendre le terme de « héros » comme un surhomme extraordinaire. Le héros est un symbole, la « bonne » partie de nous-mêmes, celle qui cherche à faire de notre quotidien une aventure, à trouver l’élixir qui manque à notre vie, et à le partager avec la société.

Dans cette aventure, que tous les mythes nous racontent, Joseph Campbell insiste sur le processus de mort et de renaissance nécessaire : nous devons faire mourir une partie de nous-mêmes, de notre égo, pour pouvoir transformer nos vies et renaître à un niveau supérieur de conscience, de partage, d’accomplissement. Campbell ne croyait pas du tout à une idéologie du surhomme par exemple, mais dans les talents que chacun d’entre nous possède, de façon unique. Il écrit ainsi : « ce n’est pas l’échec de l’homme, ni la réussite du surhomme, que (le mythe) doit mettre en lumière, mais bien la réussite de l’homme ».


Pouvez-vous nous dire en quoi consiste exactement la psychologie humaniste à laquelle vous vous êtes tant intéressée ?

En Californie, j’ai aussi découvert la psychologie humaniste américaine de Rollo May et Ira Progoff ; ils étaient collègues de Joseph Campbell. Cette psychologie recherche le développement personnel de l’individu, et des richesses qu’il peut apporter à la société. Elle se forme aux USA vers 1957-1958, et fut influencée par les existentialistes français comme par Carl Jung. La psychologie humaniste met l’accent sur notre responsabilité : notre vie est ce que nous en faisons, nous pouvons en reprendre, pour une part, le contrôle. C’est une question de choix. Le terme « humaniste » indique qu’il ne s’agit pas d’un épanouissement égoïste. Un individu plus heureux se tourne vers les autres et vers le partage.

Pour autant, la psychologie humaniste reconnaît le tragique de la vie. La figure héroïque est seulement un aspect de notre personnalité, comme l'a théorisé le psychologue Carl Jung. Il existe aussi en nous des côtés tyranniques, des ennemis intérieurs. Le héros symbolise notre capacité à surmonter nos passions obscures et notre violence.


Vous avez écrit un livre à partir de la pensée de Campbell : Ce héros qui est en chacun de nous, la puissance des mythes, Albin Michel, collection Essais-clés, 2011. Avez-vous notamment publié ce livre pour faire mieux connaître sa pensée en France ?

Oui, la pensée de Campbell est vivifiante, ses interprétations des mythes et des théories de Jung, dont il était l’ami et le traducteur, tout cela nous tourne du côté de la vie, de la joie, de l’optimisme. Sa pensée nous redonne du baume au cœur et de l’élan pour changer ce qui ne fonctionne pas dans nos vies personnelles. Nous en avons plus que jamais besoin.

Mais j’insiste sur le fait que puiser dans la puissance des mythes, ce n’est pas juste chercher un épanouissement individuel. Cela permet de repenser nos vies en collectivité aussi. Voici une preuve récente que le mythe égyptien de la déesse Isis est toujours d'actualité. En mars 2012, pour la journée internationale de la Femme, des tunisiennes se sont rassemblées devant leur assemblée nationale en chantant l'hymne à Isis. Pourquoi ? Parce que dans les textes anciens, la déesse égyptienne avait « permis l'égalité des hommes et des femmes ». Ce n'est pas revenir à une ancienne croyance, mais c'est un symbole qui rassemble pour défendre la cause des femmes.


Y a-t-il un mythe qui vous tient particulièrement à cœur ? Pouvez-vous nous le raconter ?

Puisque nous parlons des femmes, je suis attachée au mythe grec de Pandore, qui n’est pas la mauvaise femme qu’on croit, quand on se penche sur le récit d’origine. Dans la version d'Hésiode, Pandore est créée par Zeus en tant qu'objet de vengeance, parce que Prométhée avait volé le feu aux dieux pour l'offrir aux hommes. Alors Zeus fabrique un robot féminin programmé pour répandre le malheur parmi les humains, avec une jarre entre ses mains. Pandore ouvre cette jarre : toutes les douleurs cachées au-dedans se répandent sur la terre. Quand Pandore referme le couvercle, l'espoir reste tout au fond du récipient. Pandore n'est donc pas une femme fautive : elle exécute les ordres d'un dieu masculin. En tant que femmes, ce mythe nous dit de tenir désormais notre sort entre nos mains, de ne pas laisser croupir l'espérance au fond de la jarre ! Ouvrons-la. Nous sommes toutes des Pandores avec de l'espoir plein nos bras dans les multiples domaines de notre existence.


Nous sommes souvent aveuglés. Le savoir a-t-il pour but de nous permettre de lever cet aveuglement ? Je m’explique : les œillères que l’on se met et qui sont dues à notre ressenti négatif (le ressentiment, la colère, la haine…) nous empêchent de voir que la vie telle qu’elle se présente à nous, avec tous ses problèmes, cache sur son chemin, mais pas suffisamment pour que nous ne les voyons pas, toutes les solutions à ces problèmes.

Vous avez entièrement raison à mon sens. S’enliser dans la souffrance ou la colère nous paralyse, tandis qu’il suffit parfois simplement de déplacer un peu notre point de vue, de changer notre regard sur la situation pour apercevoir une solution. On dirait au cinéma, qu’il faut élargir le champ. Au lieu de ne voir les choses qu’en plan rapproché, un gros plan trompeur, vous les voyez enfin en plan large, panoramique et vous prenez en compte toutes les causes, les conséquences, vos responsabilités, les émotions et les enjeux des autres aussi, cela vous aide à ne pas rester juste centré sur vous-même, mais à trouver une manière nouvelle de réagir, la faille à travers le mur qui semblait vous bloquer le chemin.

C’est un travail intérieur pour y parvenir. Pratiquer des exercices de pensée positive au quotidien, méditer, remercier avec gratitude autrui et la vie, tout cela peut vous aider en chemin, très efficacement.


Pouvez-vous nous parler de l’importance de la pensée de Paul Ricœur dans votre vie ?

Paul Ricoeur est un philosophe français qui a traversé le XXe siècle et l’a illuminé par sa recherche d’éthique. Il est l’autre penseur de ma vie ! Dans Soi-même comme un autre, il pose cette question : « qui suis-je moi, si versatile, pour que néanmoins tu comptes sur moi ? ». Je vais résumer rapidement sa réponse : « je suis capable de tenir une promesse, c’est-à-dire que je ferai demain ce que je te dis aujourd’hui que je ferai, en dépit des changements ».

Rien que cela, c’est un effort pour la vie entière ! De fait, nous sommes tous versatiles, nous changeons tout le temps d’avis, d’intérêt, d’urgences… mon voisin ne l’est pas davantage que moi, ça fait déjà relativiser toutes les relations humaines ! Et apprendre à tenir promesse pour que nos relations se passent mieux, c’est un bel objectif, difficile mais nécessaire.


Pouvez-vous nous parler de votre ouvrage Une vie positive, s'ouvrir à la force bénéfique des mythes (Payot, 2012) ? La façon dont vous faites appel à des témoignages concrets montre combien vous avez cherché à ce que cet essai ne soit pas seulement un livre tourné entièrement vers les autres : vous avez cherché à ce que ce livre abrite véritablement les autres, soit pour eux comme une maison, un lieu où vivre, où se reconnaître, où se retrouver. Où respirer.

Je suis touchée par votre perception du livre. Il s’inscrit dans la continuité de mon essai consacré à Campbell. Je l’ai voulu plus court, plus pragmatique. Je propose les mythes comme des coachs modernes, qui nous apprennent à devenir le héros de notre vie. Je rassemble des exercices de recentrage et des outils pour déployer des ressources positives nouvelles en nous, à partir de récits mythologiques, ainsi que les témoignages magnifiques d’hommes et de femmes de toutes générations qui ont accepté d’essayer ces exercices ou de raconter une expérience de changement déterminant, ou encore de partager leurs propres astuces de bonheur. J’ai de la reconnaissance pour chacun de ces intervenants ; j’ai eu beaucoup de joie et d’émerveillement à tisser leurs paroles ensemble, et ces paroles me guident encore aujourd’hui dans ma propre vie.


Vous ne concevez jamais l’écriture comme un acte isolé. Vous semblez combattre l’image du poète enfermé dans sa tour d’ivoire. S’impliquer vraiment dans la société, en donnant à sa passion toute son énergie, peut nous changer en profondeur, nous faire évoluer. Cette idée prouve que l’art n’est pas une activité solitaire. L’art est une activité qui ne prend sens que par rapport au monde dans lequel on vit. Et par rapport aux autres qui l’habitent, quels qu’ils soient. Pour vous, l’écriture doit toujours être placée au cœur même de la société, pour qu’elle influe directement sur la vie de chacun. Sur nos vies.

C’est très juste, et à mon échelle, je conçois l’écriture avant tout comme un lien aux autres. D’abord un lien à des émotions puissantes que seule la poésie me permettait de traduire en mots : j’ai commencé par publier des poèmes dans la revue Vivre en poésie sous la direction du poète résistant Jean-Pierre Rosnay. C’était un collectif qui souhaitait « rendre la poésie contagieuse et inévitable ».

Puis l’écriture est devenue un acte de transmission, pédagogique, en parallèle de mon métier de professeur et d’universitaire : dans ce cas, la forme de l’essai me convient bien, c’est une autre façon d’enseigner, et Joseph Campbell avait cette très belle phrase : « si vous voulez vraiment changer le monde, ce que vous devez enseigner, c’est comment vivre dans ce monde ».

Aujourd’hui, je me dirige vers une forme d’écriture qui puisse rassembler ces deux aspects : faire ressentir des émotions et partager des idées. Le genre de la fiction documentaire, la tradition des grands reportages romanesques qui puissent raconter des histories de vies réelles, d’aujourd’hui, cela m’attire de plus en plus. Je crois que la littérature a besoin de réinventer l’épopée au XXIe siècle, une forme de chevalerie contemporaine pour rester dans le propos mythologique.


Quel sera votre prochain essai ?

Je ne sais pas encore. A côté de l’enseignement de la littérature francophone en université, j’écris en ce moment des films documentaires. En 2012, mon premier film était un portrait en 52 minutes de la romancière Amélie Nothomb qui se déroule au Japon, réalisé pour France 5.

Je me consacre aussi à produire la Web TV savoirchanger.org que j’ai fondée en 2009 sur internet. Pour cette WebTV, je réalise, avec une équipe de passionnés, des entretiens en vidéos : des anonymes, des associations et des personnalités médiatiques interviennent pour raconter une expérience-clef qui a changé leur vie et transmettre un savoir qui puisse changer la nôtre. En 2013, nous développerons un projet important de réalisation pour cette WebTV. Mon rêve, c’est qu’elle puisse changer notre regard sur le monde. En plus positif, bien sûr. En plus humain. 


Propos recueillis par Matthieu Gosztola


Voir sur la WebTV Savoir Changer Laureline Amanieux parler de la puissance des mythes.


Sur le même thème

1 commentaire

salut merci d'appronfondir ma connaissaice