Une île de Cythère avenue Montaigne

La célébrité n’est pas la gloire, autrement exigeante et qui appartient à l’histoire de ces héros qui, pour des faits hors des normes communes, traversent le temps. Sous une autre de ses appellations, la notoriété, elle sort la personne de l’anonymat et la place au-devant de la scène du monde comme l’acteur principal vient naturellement au-devant du public sur la scène du théâtre. Dans les deux cas, on salue la chance ou la bonne fortune, on cautionne des talents, on admire des aptitudes à être et paraître hors des balises entre lesquelles le flot de la foule ordinaire chemine, celle dont Léonard de Vinci disait qu’elle ne laisse rien de son passage sur terre.  Reçue du destin, façonnée à force de travail, comment s’obtient, s’accepte, se mérite, se gagne la célébrité ? N’est pas fils de roi qui veut. Etre un héritier à la hauteur est difficile.

 

Le siècle précédent a compté des stars qui ne s’oublient pas au siècle qui le suit. Les vraies vedettes que les années reconnaissent se font discrètes quand leur réputation n’est plus à faire. Il faut veiller aux anachronismes, les grands du monde d’hier ne sont pas les peoples d'aujourd’hui. Sur le moindre document, la silhouette blanche et le sourire de Jacky Kennedy, en l’absence de toute inscription, est immédiatement reconnue. Même aura pour Maria Callas, Marlène Dietrich, Jean Cocteau ou Sidney Bechet. Voir une photo de leur visage est déjà donner le nom de son propriétaire. Plus près de notre époque, identique reconnaissance devant le portrait de Charles Aznavour, de John Lennon ou la silhouette de Sharon Stone. Savoir que l’on est aussitôt identifié ou repéré sans chercher à l’être est l’apanage de ceux qui sont devenus des VIP, l’acronyme suffisant pour vous classer « in » ou « out ». Sous la verrière du Plaza Athénée sont passés et passent ces personnages qui pour des raisons propres à eux - beauté incomparable, intelligence inégalable, don irremplaçable - avancent dans leurs existences comme des êtres pas tout à fait habituels, aimés ou pas, adulés ou non, admirés ou rejetés, encensés ou critiqués, peu importe. En se créant une stature ou en l’habitant quand elle s’impose à eux, ils se sont distingués du reste des mortels, même si les lois naturelles les ramènent un jour au niveau collectif. Entretenir une image de célébrité exige du goût, des idées, des moyens, des réseaux et un décor.

 

Franchir la porte d’un des plus chics hôtels parisiens suppose de savoir jouer son rôle. Le lieu joue le sien, parfaitement. Le grand luxe compte à l’infini les étoiles et décline sans les dénombrer les constellations. Tout ici tourne autour des notions d’élégance, de charme, d’alliances entre confort, originalité, impeccabilité. Pour qu’elle le soit vraiment, l’opulence ne doit pas être extravagance et la séduction outrance. Mobilier, tissus, boiseries, bouquets, lustre, vaisselle, leur synonyme est qualité extrême et tradition renouvelée. C’est « l’excellence du service à la française ». Le monde entier sait saluer cette capacité nationale héritée des siècles à savoir recevoir. Jusque dans les cuisines où le chef s’applique à proposer les saveurs qui caractérisent les richesses de l’hexagone.

 

Bien davantage qu’à celle d’un magazine de mode, c’est à la lecture d’un ouvrage de haute couture que l’on est convié. Ces pages reflètent le souhait des propriétaires d’offrir à une clientèle cosmopolite le rang d’accueil le plus élevé possible et à partager en quelque sorte la légende de cette adresse. En parcourant ces pages, on visite les chambres dans lesquelles Mata Hari et Joséphine Baker avaient leurs habitudes, on arpente les salons, on entre dans la Cour Jardin, on voit la capitale et le Tout-Paris d’un balcon fleuri de géraniums, on serait pour un peu tenté de passer à table. Cet espace est une manière de vivre. Les Happy few  arrivent avenue Montaigne comme on le lit dans la préface dans un espace qui est une autre île de Cythère.

 

Dominique Vergnon

 

François Simon, Hôtel Plaza Athénée, l’adresse couture, Assouline, 196 pages, 23 x30 cm, 200 illus., mars 2015, 65 euros.

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