Le kimono, symbole du pays du Soleil levant

La tête penchée, dans un gracieux mouvement elle retient de la main droite un pan de son vêtement doublé de rouge et aux ramages gris évoquant la calligraphie. Vers 1700-1715, Baiyoken Katsunobu saisit la silhouette de cette ravissante femme drapée dans son kimono (rouleau suspendu, encre et couleur sur papier). A l’époque d’Edo, le kimono est en quelque sorte un marqueur social, dans une société aux codes stricts et signifiants. Le mot, apparu au XIIIème siècle, recouvre en fait plusieurs types de vêtement, kimono voulant dire « la chose portée ». On parle alors de kosode, très décoré, aux manches courtes et utilisé par les guerriers, et d’ôsode, ayant les manches longues. Il existe aussi le furisode, aux manches pendantes, apprécié des enfants et des jeunes femmes. Evolutives, souvent brèves, les modes sont reliées à ce qui serait tout à la fois un art, un divertissement, une manière de vivre, ce monde flottant et périssable de l’ukiyo-e où pour reprendre les termes de Danielle Elisseeff, « la pérennité est éphémère » dans « un univers aux marges d’une société urbaine et prospère ». Chacun sait que les peintres impressionnistes ont été influencés par le japonisme découvert à travers ces images de la vie quotidienne, souvent plaisantes, quand les femmes sont justement habillées en kimono, ce qui souligne leur grâce et leur élégance. Une estampe de 1849 d’Utagawa Kunisada montre lors d’une réunion de famille combien les personnages sont vêtus avec raffinement, délicatesse, les uns debout, les autres assis devant de petites tables (estampe, impression à la planche de bois sur papier). 

 

 

L’ère du Meiji, beaucoup plus courte que la précédente, se caractérise par ce que l’auteur nomme « le changement dans la continuité ». La mode occidentale entre au Japon et se renforce même « lorsque l’impératrice Haruku parut en robe européenne » en 1886, signe de l’incroyable évolution survenue dans ce pays de traditions. A l’inverse, le kimono devient en Europe et aux Etats-Unis le costume en vogue et accompagne ce goût pour la culture et l’esthétique japonaises. Parallèlement, les progrès de l’industrie textile et l’emploi de nouvelles teintures ont des conséquences directes sur la qualité des tissus et les motifs. Les arbres comme le paulownia, les fleurs comme le chrysanthème, les paysages avec des pins et des chaumières, les grues et les poissons décorent les somptueuses soieries et connaissent un engouement immense dans toutes les classes sociales. Certains kimonos sont de véritables œuvres d’art. Ainsi cet uchikake, kimono d’extérieur, où sur un fond bleu se détachent dans des tons d’automne diverses variétés de chrysanthèmes et des barrières en osier.

 

 

Avec les ères Taishô et Shôwa (1926-1989), celle-ci correspondant au règne de l’empereur bien connu Hiro Hito, la société japonaise est très cultivée, ouverte aux multiples innovations de l’art et de la communication et résolument moderne. Les tons et les décorations traduisent les effets des mutations et l’exubérance de la vie, « les combinaisons de couleurs devinrent plus brillantes, les fleurs plus originales, les rivières et les vagues se transformèrent en tourbillons et les motifs abstraits dansaient sur les surfaces au rythme du jazz ». Hirondelles, libellules qui est un des motifs les plus anciens, pampres, bambous, camélias, pivoines, dessins et compositions géométriques apparaissent sur des fonds rouges, violets, verts émeraude. Un exemple de kimono parmi tant d’autres, tous aussi délicats, surprenants, aussi épurés que recherchés, est cet hômongi de 1912-1926, représentant trois vues célèbres identifiées par le savant confucéen Hayashi Gahô en 1643, en crêpe de soie façonnée, réserve à la pâte de riz et feuilles d’or en couchure (surihaku). La mode pour les hommes, qui majoritairement portent le costume occidental, ne fait pas l’objet de problèmes particuliers. Leurs kimonos sont de couleurs plus sobres, avec des motifs reflétant la modernité, comme « les aéroplanes ou les gratte-ciel ». Par la suite, les motifs abstraits, la stylisation, l’emploi de deux ou trois couleurs et des effets sophistiqués ornent les tissus.  

 

 

Ces pages écrites par des spécialistes mettent en valeur la perfection des ensembles présentés appartenant à la collection Khalili, la beauté sans cesse renouvelée des pièces, les alliances osées ou classiques de teintes et de décors, l’imagination sans limite des créateurs et retracent trois siècles d’un habillement unique, porté par le marchand comme par le samouraï, témoin de l’histoire d’une nation qui en fait un de ses emblèmes distinctifs et un de ses symboles les plus visibles.   

 

 

Dominique Vergnon          

 

 

 

Sous la direction d’Anna Jackson, Kimonos, La Bibliothèque des Arts, 24x30 cm, 320 pages, 400 illustrations, octobre 2015, 59 euros

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