Fabienne Radi : Ouille !

Lorsque qu'elle ressort avec une mâchoire paralysée – ce qui est tout de même assez fréquent – de chez son dentiste puisque enfant, dit-elle, je n’ai pas eu droit au fluor dans le sel de table" -– l'auteur ne manque jamais de – à peine la porte du cabinet refermée –  de lire à plus ou moins haute les textes qui apparaissent alors dans mon champ de vision : "OTICH ASCHENCHEUR, PHARMACHIE DE CHERVICHE ou encore DÉFENCHE DE CHTACHIONNER, en produisant un filetde bave par la même occasion.

Fabienne Radi y trouve un certain plaisir voire un plaisir certain tout en me confortant dans l’idée que j’ai bien fait de ne pas essayer de me lancer dans la performance, ajoute-t-elle. Et ce en allusion à celle qu'elle évoque dans ce livre et à laquelle elle pense à chaque visite chez le dentiste : Hayley Newman dont elle a perdu la trace mais qui n'eut jamais peu d'aller au charbon.

 

S'en suivent des réflexions multiples. Fabienne Radi s'interroge sur le sourire à la fois de la Joconde sans que l’on sache comment étaient ses dents, ni même si elle en avait vraiment et sur celui de Julia Roberts qui semble avoir dans la bouche plus de dents que le commun des mortels.

Mais ne s'arrêtant pas en si bon chemin et depuis les bords du Léman, elle convoque outre la performeuse anglaise et son dentiste vaudois, une nonne belge, le fabuleux Homme des glaces, Shelley Duvall, Peter Pan et Harry Dean Stanton pour traiter d’une partie singulière du corps mieux qu'en dentiste pour les vivants et  - si l'on est mort - pour les servir aux inspecteurs de police et aux archéologues en indiquant l’âge approximatif du corps.
Adepte des détails quasi documentaires la créatrice mêle le réel et l'imaginaire pour dénoncer les ombres de la petite histoire et les mythologies de notre époque de manière plus ironique que fractale.

Impertinente l'analyste tord le réel et y insère ses hauts-voltages. Ils la rendent très particulière au sein des hordes des penseurs, écrivains et artistes qui désormais sont dix fois plus nombreux que les chats.
Chez elle l’évolution des formes peut donc dépendre de celle des dents et de leur couleur. Elle y découvre une racine métaphysique au monde. Il y aura donc désormais un blanc "émail diamant" dans l'univers des signes telle que Fabienne Radi le médiatise.

Elle reste une sémiologie "situationniste" à sa manière. Avec ses Trente-deux récits à géométrie variable en rapport plus ou moins étroit avec les dents…, de la mâchoire du haut à celle du bas, et à travers les intertices du clavier de notre dentition, l'auteur se fait orthodontiste, même si chaque fois que qu'elle écrit ce mot, je fais la même faute : j’écris ortodentiste  qui me paraît beaucoup plus logique  et tout de suite le correcteur de mon traitement de texte fait apparaître une petite vague rouge sous le mot.
Pour autant elle ne se veut ni redresseuse de dents ni d'une ligne générale de bon aloi ou de tords. Elle avance entre performances et martyrs des maux de dents.

Jean-Paul Gavard-Perret

Fabienne Radi, Émail diamant, coll. SushLarry, Art&fiction, octobre 2020, 156 p.-, 14€

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