Marisa Cornejo : clair venin du temps

Marisa Cornejo crée une poétique particulière avec souvent un effet de mise en abîme au sein d'une représentation parfois éphémère, ponctuelle mais à laquelle l'artiste est sensible  afin de voir comment une image prospère dans l’imaginaire du regardeur. D’origine chilienne la Genevoise – en créant des tensions entre le vécu et le fantasmé, le connu et l'inconnu – déstabilise tout ce qui fait autorité afin de mettre en rapport des codes sociaux et des formes artistiques, de donner du poids à des images qui n'en sont pas. Ses créations se veulent des dérives. Ne retenant pas un mode de production exclusif et toujours curieuse de faire des expériences, la créatrice capte la relation qu’elle entretient  avec ce qui l’entoure comme avec ses souvenirs et ses songes. Ensuite elle choisit  le médium adéquat (action, vidéo, dessin, photographie, installation) afin de restituer au mieux une expérience spatiale, visuelle et mentale.  De telles stratégies cachent souvent des calculs en rapport avec le pouvoir qui les soutient.
C’est pourquoi le vocabulaire de la plasticienne cherche une articulation dont le ressort est chaque fois le glissement sémantique. Par le caractère hybride de ses œuvres elle pose la question de l'intégration de l’être dans son milieu. Toutefois si un tel art possède une dimension  politique, la créatrice n'a jamais estimé que le but de l’art soit de résoudre des conflits sociaux ou idéologiques.
Selon Marisa Cornejo le contrat qui lie la créatrice, son œuvre et le public est complètement à réinventer. Ce travail  actif crée l’instauration d’un présent avec celui qui le regarde. Il s’agit de l’organisation d’une temporalité où, le présent de l’œuvre crée toujours un avant et un après. Il y a donc  l’existence d’un “maintenant” qui est parfois celui d’un actionnisme qui repose la question de la beauté.
Entre ironie et subversion il s'agit  pour Marisa Cornejo de renverser la naturalisation des codes culturels, des choses que l'on connaît mais dont on ne se soucie plus de la provenance et des raisons qui les ont amenées à exister. Alors que souvent le spectateur est assigné au rôle de voyeur en une sorte de Peep-show, il est placé ici  par la créatrice dans l’ordre des rapports sociaux où toutes les stratégies, quoique exhibées, n’en sont pas moins renversées.
Devant de telles images, soit nous inventons un système de croyance qui nous laisse le moins de doute possible sur ce que l’on voit, soit nous nous abandonnons en allant jusqu’à prendre du plaisir à nous trouver redoutablement seuls face à des mises en scènes hybrides et fascinantes.

Jean- Paul Gavard-Perret

Marisa Cornejo, I am , Inventaire de rêves, coll. Re:Pacific, Art&fiction éditions, Lausanne, juin 2022, 176 p.-, 28,50 €

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