Les Avatars de Sherlock Holmes

Déduire, dit-il…

 

Les Avatars de Sherlock Holmes est un bref recueil de pastiches dus pour la majorité d’entre eux à de véritables écrivains et qui, chacun à sa manière, présentent le mérite de nous donner envie de relire Conan Doyle.

 

Ce n’est qu’il y a quelques années que Sherlock Holmes est tombé dans le domaine public, mais les pasticheurs de tout poil n’avaient pas attendu que cèdent les digues légales pour produire d’innombrables variations autour des nouvelles et des romans de Conan Doyle, et certaines librairies anglo-saxonnes ont des murs entiers couverts de ces produits dérivés. En France, Maurice Leblanc n’avait pas craint de mettre le Grand Détective (rebaptisé, pour éviter un procès, Herlock Sholmès) sur la route de son propre héros, Arsène Lupin. [1]

 

            Rien donc de bien nouveau, a priori, dans les huit récits réunis sous le titre Les Avatars de Sherlock Holmes qui viennent de paraître chez Rivages/noir. Rien de bien nouveau si ce n’est que plusieurs d’entre eux ont été composés il y a longtemps par des écrivains humoristes reconnus aujourd’hui encore ‒ P.G. Wodehouse, père de Jeeves, J.M. Barrie, père de Peter Pan (et ami de Conan Doyle), Stephen Leacock, ou encore E.M. Benson.

 

            Comme d’habitude dans ce type de recueil, tout n’est pas de la même qualité, mais on pourra toujours dire, et il ne s’agit pas là d’un simple retournement rhétorique, que les mauvais pastiches nous font peut-être encore mieux sentir que les bons les mérites de l’original. C’est qu’il n’est pas facile de composer un bon pastiche, puisqu’on touche là à une quadrature du cercle qui s’apparente à celle que Bergson a analysée dans Le Rire à propos du genre de la caricature. Un pastiche ne doit pas être un simple décalque de l’original et n’a d’intérêt que s’il ajoute quelque chose. Mais, inversement, il ne faut pas que l’ajout vienne dénaturer l’original. Autrement dit, le pastiche n’est pas loin d’être une opération psychanalytique visant à faire ressortir des éléments qui n’étaient pas visibles, mais n’en étaient pas moins présents dans l’original. Ainsi, les nouvelles qui ici ironisent sur la manière dont Sherlock Holmes peut, en regardant la couleur de votre chaussure gauche, dire ce que vous avez mangé jeudi dernier sont finalement assez fades, car nous savons bien ‒ c’est même là ce qui faisait tout le sel de son entreprise ‒ que Conan Doyle lui-même ne croyait pas totalement à la vertu des magnifiques déductions de son personnage. Leur vraie vertu était surtout qu’elles contribuaient à établir une connivence amusée entre l’auteur et le lecteur.

 

            S’imposent alors dans ces pastiches ceux qui font essentiellement ressortir deux choses. La première est que, comme le rappelait encore récemment un critique du Sunday Times à propos de la nouvelle saison (encore inédite en France) de la série Sherlock avec Benedict Cumberbatch, l’essentiel dans les aventures de Holmes, ce ne sont pas ses aventures, c’est son amitié avec Watson. Là encore, les pastiches qui n’insistent que sur les oppositions entre les deux hommes, sur la lenteur d’esprit du second face aux fulgurances du premier, ne font que reprendre des éléments qui traînent déjà chez Conan Doyle. L’important est de dégager le lien qui les unit en dépit de leurs oppositions. Et c’est sur ce point, sur la nature de ce lien, que les meilleurs pasticheurs montrent leur supériorité. Les vrais écrivains de la bande ont compris et font comprendre que l’œuvre de Conan Doyle est aussi une réflexion sur la création littéraire : Holmes/Achille ne serait rien s’il n’avait pas derrière lui, avec lui, devant lui, son Watson/Homère. Bien sûr, il ne cesse de pester contre les licences poétiques que prend Watson par rapport à la réalité des faits pour retenir l’attention du lecteur, mais il sait aussi, parce qu’il est le disciple du Dupin de Poe, que lui-même ne saurait échapper à ce type d’accusation, puisqu’un grand détective est d’abord un poète ; il est celui qui sait percevoir ce qui a échappé aux autres, ou, pour parler comme Rimbaud, qui voit quelquefois ce que l’homme a simplement cru voir. Dans cet ordre d’idée, la plus belle nouvelle de ces Avatars est celle de John Kendrick Bangs (ami de Conan Doyle et de Mark Twain), qui met en scène un universitaire penaud qui vient supplier Sherlock de lui expliquer le sens du livre qu’il a lui-même écrit sur le pragmatisme, mais auquel il ne comprend rien, ce qui, on l’imagine aisément, risque de le placer dans une situation délicate face à ses éminents collègues.

 

FAL

 

Les Avatars de Sherlock Holmes

Nouvelles traduites de l’anglais par Frédéric Brument et Jean-Paul Gratias, Rivages/noir, janvier 2017, 6,20 €.

 

[1] Puisque nous évoquons ici cette question du domaine public, signalons une situation absurde et drôle. Les lois canadiennes font que James Bond est désormais dans le domaine public au Canada, alors qu’il ne l’est toujours pas au Royaume Uni. Sont donc déjà sortis outre Atlantique plusieurs nouvelles aventures de l’Agent 007, que les sujets de Sa Gracieuse Majesté sont condamnés à lire pour l’instant sous le manteau ? On ne sait trop comment va se résoudre cette variation inédite sur le thème « Brexit, quand tu nous tiens »… Pour être précis, de telles finasseries existent encore pour Sherlock : les héritiers de Conan Doyle ont essayé il y a trois ans de poursuivre un continuateur américain de leur ancêtre (qui refusait de cracher au bassinet holmésien) en jouant sur le fait que toutes les nouvelles originales n’étaient pas encore tombées dans le domaine public et que ce continuateur s’était inspiré de celles qui restaient encore leur propriété exclusive. Tout cela n’est pas sans rappeler la lettre de Groucho Marx à la Warner quand celle-ci voulut interdire le titre du film des Marx Une nuit à Casablanca sous prétexte que Casablanca (tout court) était déjà le titre d’un film avec Bogart. Groucho rappela que ses frères et lui-même s’étaient fait connaître sous le nom Marx Brothers bien avant que Warner ne décide de s’appeler officiellement Warner Bros. Et qu’ils allaient à leur tour engager des poursuites judiciaires.  


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