Marie Laurencin, la muse et la diane
Aborder la vie de Marie Laurencin, c’est réellement entrer dans une histoire toute de finesse et de surprises, de drôleries et parfois de larmes. Le merveilleux semble arriver dès les premières lignes de son récit. Un merveilleux que le destin avait assombri au départ. Regarder l’œuvre de celle qui avait « au plus haut point le goût des chansons et des robes », comme l’écrivait André Breton, c’est contempler de savoureuses couleurs, de gracieux gestes, de profondes forêts d’où sortent comme d’un songe des amazones. C’est aussi sentir des parfums insolites, respirer des arômes de fleurs et des fragrances capiteuses. Pour cette artiste à l’étrange adolescence, le rêve qui pour d’autres n’est que construction arbitraire était la vie même, dans sa réalité la plus visible. Le thème unique ou presque de sa peinture, le leitmotiv discret et parfois obsédant de son travail, est la femme, la dame du trouvère et l’égérie du conteur, l’inspiratrice qui souffle « au poète un amour éternel et muet ainsi que la matière », l’ambassadrice et la prisonnière. Entre la fée séductrice, la Nymphe de la divination et la Judith de la conquête, Marie Laurencin a noué des accords d’une identique légèreté, d’une profondeur équivalente, des connivences secrètes dont les sens mais aussi l’esprit se font les messagers. Célébrée, délaissée, admirée et critiquée, héroïne sauvage et sirène frêle, elle fut d’abord et avant tout la féminité en soi, l’incarnation achevée de ce charme que le sexe dit faible exalte si souvent à son insu et transforme pour blesser le cœur de l’homme « en sept épées de mélancolie ».
Brève scolarité, apprentissage du dessin, premières amitiés, assez décisives d’ailleurs, celle de Braque et de Guillaume Apollinaire surtout. Des expositions qui la placent aussitôt à part, assez loin du cubisme qu’elle admire, proche du réalisme conceptuel que les maîtres d’alors comme Picasso ou Juan Cris ont mis à l’honneur. En 1908, elle participe au grand banquet du Bateau Lavoir où se côtoient un Picasso tout jeune et un Henri Rousseau sexagénaire, Max Jacob, Léo et Gertrude Stein. « Quelle fête arrosée, déchaînée, irréelle ». Apollinaire griffonnera sur la nappe en papier des mots exotiques et quand plus tard il écrira que « les peintres nouveaux procurent à leurs admirateurs des sensations artistiques uniquement dues à l’harmonie des lumières impaires », c’est sans doute à cette femme si proche de son cœur qui l’accompagnait ce soir-là qu’il pense. Il devait écrire aussi en parlant de cette « fiancée » inspirante : « L’art de Mademoiselle Laurencin tend à devenir une pure arabesque, humanisée par l’observation de la nature ». Ils s’étaient rencontrés pour la première fois en mai 1907, chez le marchand de tableaux Clovis Sagot, par l’entremise de Picasso.
Elle se fit peu à peu un grand nom. Elle travailla comme décoratrice de théâtre. L’exposition de 1953 à la galerie Pétridès en apporte la preuve. « Pour être célèbre, il suffit d’être connu de deux cents personnes », avait-elle dit à Marcel Jouhandeau, « pourvu que ces gens-là vivent à Paris » ! Elle sera vite la coqueluche de ce petit monde des rires et des modes de l’entre deux guerres dont les figurants fiers et galants, recherchent et attendent avec impatiente l’honneur d’avoir leur portrait fait par elle.
Elle l’ignore bien sûr, mais un jour son œuvre voyagera au delà des mers. En lui consacrant un musée exclusif et riche, les Japonais ne se sont pas trompés sur son talent. Cette reconnaissance du Japon envers Marie Laurencin vaut à cette rétrospective organisée au musée Marmottan-Monet de présenter une majorité d’œuvres venus du musée fondé par M. Takano en 1985. Ce bel ouvrage, traduit en anglais, l’accompagne. L’exposition comme ce livre sont à la hauteur de cette femme à « la sensibilité toute française ». Les quelques mots d’André Breton qui introduisent le texte de Daniel Marchesseau, sensible, ajusté, parfait connaisseur de cette « biche parmi les fauves », donnent le ton. En trois couleurs, le portrait est brossé. Toutes les pages qui suivent sont le déploiement de ce drapeau. De nombreux tableaux permettent de mesurer l’amplitude de ses références esthétiques. On note combien, reposant sur une poignée de thèmes seulement, les approches varient sans cesse et le renouvellement du style est un voyage au-dedans de « cette bourgeoisie libre et de bon aloi ». Les œuvres de Marie Laurencin signifient indépendance de la manière autant qu’ils signent la fidélité à un style. L’auteur en révèle la portée visible comme la densité cachée. Marie Laurencin méritait ce double hommage.
Dominique Vergnon
Daniel Marchesseau, Marie Laurencin, 1883 - 1956, Editions Hazan, février 2013, 22x28.5 cm, 120 illustrations, 178 pages, broché à rabats, 29 euros.
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