Où commence, où finit la
culture belge ? Question difficile, qui se relie à celle de l’identité, tout
aussi complexe et qui se divise elle-même, s’écartèle, se rassemble et évolue
toujours.
L’interrogation serre de près ce que l’on appelle la belgitude,
concept « en creux » qui pourtant revêt un sens réel et non
artificiel, comme certains le pensent. Là encore, quelle amplitude et quelle finitude donner à ce problème ?
Dans son introduction à ce siècle de l’art belge, l’auteur qui aborde les
étapes de son parcours, écrit que « tirant pleinement parti de ce statut
d’entre deux que l’histoire lui avait assigné, la culture belge se façonne à
partir [d’un] découpage ». La Belgique se forge et s’irrigue autour de
cinq pôles, dit-il, qu’il faut se garder ici de hiérarchiser et d’opposer. S’ils
sont bien sûr économiques, ils sont aussi sociaux et par extension, culturels. Les
deux régions fondatrices, la Flandre avec Gand et Anvers - Bruges, jadis
immense foyer d’art, s’y rattache - et la Wallonie se partagent le pays.
Bruxelles héritant de l’histoire ses pouvoirs, serait un arbitre placé
« au centre des débats », mais curieusement « objet de
rejet ».
Dans ce parcours
esthétique, les jalons se suivent sans se confondre. Placée comme elle est à la
charnière de tous les courants européens, la Belgique accueille les influences,
les filtre au travers de la critique, les transforme, les adapte, les prolonge,
en tire un art propre, sui generis. Les noms sonnent comme s’imposent des
marques dans la mémoire, authentiques, nationaux en quelque sorte et aussitôt
internationaux, et signent cette indépendance d’esprit qui assure la pérennité.
Magritte, Rops, Khnopff, Ensor, Spilliaert, Delvaux, Constant Permeke, Pol
Bury, Alechinsky, tant d’autres qui appartiennent à la Belgique de plein droit,
par nature et tout autant au monde. Leurs œuvres dépassent la belgitude, la
ramènent à une querelle interne, presque passagère. L’art belge est une
totalité vivante qui « loin des emphases théoriques, a constitué sa
tradition dans la simplicité de ses formulations ».
La collection qui est
présentée dans ce livre déroule une centaine d’années de création esthétique.
Elle est le fruit d’une passion et d’une lente élaboration, d’un regard
conjoint et partagé entre Maurice et Caroline Verbaet, à la fois érudits et
amateurs, achetant par coups de cœur et sur la base d’une documentation solide.
Au début, faute de moyens, des achats d’artistes peu connus. Au fil des ans, la
collection s’enrichit d’œuvres de peintres célèbres. Reventes, erreurs, nouvelles
découvertes, prêts aux musées comme bien sûr celui d’Ixelles qui coédite, avec discrétion
et lucidité, simplement, sincèrement, son propriétaire raconte comment il a
constitué ce magnifique ensemble qui témoigne de son engagement envers la
modernité sans concession aux modes.
Les pages s’ouvrent sur
des gravures d’Ensor, deux huiles poignantes d’Eugène Laermans, une belle série
de Léon Spilliaert. Progression et surprise pour celui qui ne connaît pas assez
l’étendue de la production de nos voisins belges, elles offrent les recherches
de la génération CoBrA, les expériences de l’abstraction autour de Jo Delahaut,
les certitudes de l’académisme renouvelé avec Louis Buisseret. On feuillette les
yeux agrandis par ces images qui semblent être vues pour la première fois et
signées par des noms oubliés ou neufs, Jozef Cantré, Jean Rets, Jules
Schmalzigaug, Edmond Van Dooren, Karel Maes, Jane Graverol, autant de talents
multiples, contrastés, novateurs. Une utile chronologie termine le livre et
fournit un lot de repère indispensables pour comprendre comment la scène
artistique belge s’est ancré sur une constante créativité, des détournements
audacieux, des initiatives enviables, un savoir ample, des appuis littéraires
de qualité. Un regret sans doute, l’absence d’une biographie, même très courte,
pour ces artistes dont certains sont peu connus voire méconnus.
Dominique Vergnon
Michel Draguet, Art belge. Un siècle moderne. Collection Caroline
et Maurice Verbaet, Editions Racine, 208 pages, 25x26 cm, nombreuses
illustrations, octobre 2012, 34,95 euros
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