Sur le chemin de l’éveil, les trésors de l’art du Tibet

Absolument serein, impassible mais non indifférent, au contraire parfaitement présent, d’une beauté symétrique comme il n’en existe pas ailleurs, modèle de transcendance sans condescendance, le Buddha Sakyamuni, en souverain du monde, fait « tourner la roue ». Il regarde au-delà du temps et des hommes. L’errance des créatures soumises à la réincarnation est brisée. « A chaque époque cosmique, un bouddha éveillé prêche le moyen d’échapper au cycle de la causalité universelle ». Toute la sagesse du chef spirituel émane de cette attitude majestueuse que l’on admire sur les statues en laiton incrusté d’argent ou en cuivre doré ou sur les peintures à la détrempe sur coton qui le représentent au cours des siècles. A côté de lui, non moins sublimes dans l’expressivité de leurs volumes, plus gracieux sans doute en raison de la douceur familière des gestes, debout ou assis, se distinguent les bodhisattva Avalokitésvara et Mañjusri, méditant ou « en position d’aisance royale ». Plus ondulantes, dansantes, en équilibre, parées de bijoux, munies d’un couperet, d’un livre ou du « foudre-diamant », tour à tour guérisseuse, tueuse ou savante, apparaissent les déesses, autres figures primordiales du panthéon tibétain. 

Qu’elles évoquent des divinités tutélaires, des pontifes, des ascètes, des maîtres tantriques et des gardiens de la religion, toutes ces statues ont une force et une dynamique étonnantes. Elles appartiennent  à la prestigieuse collection de la Fondation Alain Bordier, qui en trente années de passion, de curiosité et d’érudition, a créé un musée dédié à l’art sacré du Tibet et situé à Gruyères, en Suisse. Parmi les quelques 130 pièces exposées, certaines sont de véritables joyaux, comme le bodhisattava Mañjusri sous son aspect Mañjughosa, qui veut dire « à la voix aimable », en cuivre doré incrusté de pierres fines du XVIIIème siècle. Cette statue est ornée de brassards, de fleurons, d’un long collier et d’un imposant diadème finement ouvragé qui fait penser à une tiare. Par son allure générale qui, comme on le note au premier regard, « se caractérise par son géométrisme » alliant à la grâce une opulence de détails, elle serait un exemple significatif de l’art népalais du XIIIème siècle.  

Egalement somptueuses, à dominante rouge, les peintures rendent compte par l’incroyable profusion de leurs décorations de l’amplitude de l’entourage sacré des déités. Deux mandala notamment, celui de Hevajra et celui des Pancaraksa, s’imposent par la rigueur de leur composition et la liberté de l’ornementation. Au centre du premier, qui date de 1400 environ, on remarque le Yidam enlacé par une déesse. Autour, couronnant cette danse, s’unissent huit pétales de lotus sur lesquels dansent d’autres déesses, plus farouches. Puis le diagramme se déploie jusqu’à la ligne suivante, en quelque sorte enceinte percée de passages, puis encore vers un cercle, et à nouveau d’autres espaces constellés de personnages en méditation et d’animaux. Les écoinçons eux-mêmes sont décorés de maîtres qui enseignent à leurs disciples les vertus essentielles tandis que les registres inférieurs et supérieurs sont semblables à des frises où se succèdent diverses déités gardiennes. Le second, du XVème siècle, assez semblable quant à sa configuration générale au mandala précédent, est rehaussé au centre par la déesse de couleur blanche Mahapratisara, dotée de trois faces et de six mains. Il lui revient d’être celle qui « préserve du péché et de la maladie ». Vases d’abondance, démons, planètes, flammes, colonnettes et chapiteaux fleuris se répartissent sur toute la surface de la peinture. Ces mandala qui sont « les palais célestes des divinités » sont par leur extrême raffinement de véritables enchantements pour les yeux autant qu’ils servent de support à la méditation.

La variété des œuvres permet de mesurer la richesse et la pureté esthétique de cet art sacré du Tibet dont il émane, en parallèle à la puissance, une haute spiritualité. Vaste comme sept fois la France, nation carrefour convoitée, partagé en plusieurs territoires, partout soumis à l’altitude, ce pays possède une histoire très ancienne que l’on divise, avant l’intervention britannique de 1904, en six grandes périodes. Devant la complexité des influences, les ramifications des sources indiennes et népalaises, il est certes difficile de comprendre dans sa profondeur cet art qui requiert pour en mesurer toute la portée, des connaissances particulières. De même que retenir les noms exigent d’aborder peu à peu l’immense répertoire du bouddhisme. L’ouvrage rédigé par Gilles Béguin, professeur et conférencier, ancien directeur du musée Cernuschi, spécialiste de cet art, donne tous les repères nécessaires y compris des cartes et un glossaire, pour en faciliter la compréhension et par là, ouvrir sur un intérêt accru. Par sa cohérence et l’attrait de sa présentation dans les élégants locaux de la Fondation Pierre Berger, cette exposition permet d’aborder par la seule contemplation des objets « l’impalpable et l’immuable, la nature ultime des choses, par conséquent la nature de notre propre esprit», ainsi que l’écrit Alain Cordier dans la préface.

 

Dominique Vergnon

 

Gilles Béguin, Art sacré du Tibet, collection Alain Cordier,  Edition Findakly, 21 X 27 cm, 256 pages, nombreuses illustrations, mars 2013, 35 euros

 

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