La collection Hays, un hommage à la France

Avec beaucoup de simplicité, tout au long de l’entretien qui introduit le catalogue de l’exposition, Marlene et Spencer Hays racontent comment ils ont constitué peu à peu leur collection. « Ils sont autodidactes en histoire de l’art. C’est là leur force », écrit Guy Cogeval dans la préface de ce volume. Se fiant au départ à leurs seuls goûts puis de plus en plus aux conseils des historiens d’art auprès desquels ils n’ont cessé d’apprendre et d’enrichir la culture qu’ils ont acquise, les Hays font état de leur immense amour pour l’art en général et pour la  peinture française en priorité. Issus de milieux modestes, ne connaissant rien au départ à la peinture, n’ayant pas à portée de domicile ou de relations de quoi les mettre en contact avec des artistes ou des musées, ils procèdent à une première acquisition, un tableau de Bartholomaeus Maton (1643-1682). Cet achat déclenche le désir d’acheter d’autres œuvres, notamment de peintres américains comme Childe Hassam ou Theodore Robinson, alors à la mode autour d’eux. Puis ils découvrent Pierre Bonnard. Dès lors, leur engouement et cette « passion française » ne cessent de s’amplifier. Au fil des années, ils ont constitué une des plus belles collections privées qui soit.

 

Parmi leurs peintres préférés, les Nabis, qui peignent ce que le couple aime, « les amis, la famille, les échanges quotidiens », avec au premier rang Vuillard, qui « peint la façon dont les personnages regardent, leur manière de marcher dans la pièce, leur maladresse, leur bras, leur corps ». Ils aiment surtout « ces petites taches de couleur éclatante qu’il pose çà et là sans raison ». Formant un magnifique ensemble, près de trente tableaux de ce peintre sont exposés au musée d’Orsay, dont ces merveilles de finesse et de poésie intime que sont la Dame à sa fenêtre, La Ceinture noire, Madame Vuillard cousant, Le Petit Déjeuner devant la fenêtre, Les Couturières, cette peinture de 1890, autre parfaite « adéquation au lieu qu’elle investit », pur moment suspendu du labeur des mains et de l’ondulation des tissus travaillés. Ou encore La Table. La fin du déjeuner chez Madame Vuillard, huile sur carton de 1895, scène domestique pesante dans son atmosphère malgré la légèreté de l’éclairage et la sveltesse du cou de Marie, sœur de l’artiste.

 

Si Edouard Vuillard (1868-1940) représente « le centre de gravité » de la collection des Hays et se trouve de ce fait au cœur de son déploiement dans les salles, d’autres peintres lui donnent également son poids, en aimantent l’intérêt et le multiplient. En premier lieu, Pierre Bonnard, à peu d’années prés le contemporain exact de Vuillard (1867-1947), qui le rejoint par cette volonté de « montrer ce qu’on voit quand on pénètre soudain dans une pièce d’un seul coup », ce qu’apprécient les deux collectionneurs américains. Grâce au cadrage rapproché faisant entrer le spectateur dans les espaces intérieurs, à la lumière filtrée qui s’adoucit au travers des rideaux ou de la fenêtre à moitié ouverte, le regard pénètre en témoin privilégié dans cet angle de la chambre bleue qui accueille la Jeune fille se coiffant (huile sur carton de 1896) ou dans cette salle à manger à L’Heure des bêtes : les  chats dit aussi Le Déjeuner des bêtes (La Famille Terrasse), de 1906.

 

Viennent ensuite - mais comment penser établir une hiérarchie quelconque dans ce prestigieux ensemble - de nombreux autres maîtres qui tous, à des titres divers, fascinent Spencer et Marlene Hays. Citons Maurice Denis, présent avec notamment cette œuvre en double volet, décrivant Le Printemps et L’Automne, deux huiles « sur toiles à gros grains » qui imitent le travail de la tapisserie. De hauts arbres qui cadrent l’étroite vue allongent encore les gracieuses silhouettes féminines qui évoluent et se recueillent sous leur couvert. Les tons bruns et verts signalent délicatement l’avancée de saisons. Ces peintures lui avaient été commandées en 1894 par Arthur Huc, rédacteur en chef de La Dépêche de Toulouse. L’affection des Hays envers Denis, comme envers les autres Nabis, est illimitée. Comme si en toute logique ils devaient un jour arriver jusqu’à Nashville, ces panneaux ont trouvé, sans nul calcul mais par une espèce de chance « prévue à l’avance », leur place dans la maison qu’ils ont faite construire sur le modèle d’un hôtel particulier parisien du XVIII siècle. Ils encadrent maintenant la baie arrondie ouvrant sur la nature.

 

Cette maison est en quelque sorte le fruit de cette dilection pour la France que les Hays éprouvent depuis leur premier séjour en 1971. Pierre à pierre, jusqu’au moindre détail comme les crémones faites à Paris, elle est la fidèle reproduction de l’ancienne demeure, comme si une copie authentique avait été transportée de la rue de Grenelle dans le Tennessee. Son  propriétaire désirait même que le bois du parquet à la Versailles, « récupéré d’un château en France, grince sous ses pas » ! Au-dessus de la cheminée de la bibliothèque, est accroché la Femme s’épongeant le dos, de Degas, pastel sur papier marouflé sur carton, comme trône au dessus de la cheminée de leur appartement de New-York une autre somptueuse toile, exécutée par Camille Corot vers 1870-1872, intitulée L’Atelier de Corot (Jeune femme en robe rose assise devant un chevalet et tenant une mandoline).

 

Bibliophiles avertis, amateurs éclairés de mobilier, collectionneurs avisés d’affiches et de dessins - ils ont plusieurs centaines de feuilles - les Hays s’intéressent avec la même acuité à la sculpture et privilégient entre autres Rodin, Dalou, Matisse ou encore Maillol, dont ils possèdent L’Eté, bronze de 1911, généreuse femme à la posture en contrapposto symbolisant « une fertilité inépuisable ». De l’académique Jean-Léon Gérôme, ils ont deux œuvres qui se rapprochent naturellement, La Joueuse de boules, bronze doré de 1902 et le tableau Autoportrait peignant, huile de la même année, où l’on voit le peintre appliqué à finir un tableau représentant cette même joueuse, nue et cambrée, la bras prêt au lancement. La pose est dans les deux cas similaire.

 

Tout aussi éloquents sont les Redon, Pissarro, Marquet, Derain, Modigliani, Berthe Morisot,  dont les œuvres ont fait l’objet de choix judicieux. A côté de ces noms célèbres, d’autres moins connus ne sont pas pour autant privés d’intérêt. Parce qu’ils ont par exemple décrit cette vie parisienne de la Belle Epoque, témoignages à la fois historiques et anecdotiques de ces soirées où l’on se rend à Un bal masqué (Jean-Louis Forain), courtise une femme qui écrit au café La lettre (Jean Béraud), assiste à Une représentation de La Princesse de Trébizonde, opérette de Jacques Offenbach, dont Norbert Goeneutte capte, entre scène et public, un instant qui apparaît aussi décisif  que burlesque ! Enfin, on découvre ou on revoit avec grand plaisir des œuvres de Paul-Elie Ranson et son très ornemental Paysage japonisant, Maximilien Luce, Tissot, Eva Gonzalès, John Lavery, Louis Valtat, Jan Verkade. Chez les Hays, « pas de favori, tous sont logés à la même enseigne ». 

 

Cet ouvrage reprend l’ensemble des œuvres exposées au musée d’Orsay dans un accrochage sobre et séduisant qui, délibérément, n’évoque pas le décor des domiciles des Hays. Premier et peut-être rare retour pour elles au pays de leur origine. Les textes qui accompagnent les tableaux, par les précisions et repères qu’ils donnent, ajoutent à la qualité de cette exposition.    

 

Dominique Vergnon

 

Claire Bernardi, Isabelle Cahn, Stéphane Guégan, La collection Marlene et Spencer Hays. Une passion française, 206 pages, 220x290 cm, Musée d'Orsay / Skira Flammarion, mai 2013 ; 40 euros

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