Alain Robbe-Grillet et les glissements progressifs du désir

Depuis longtemps les œuvres cinématographiques de Robbe-Grillet sont au purgatoire. Après avoir été saluée comme un cinéaste quasi expérimentale leur réalisateur à été relégué au rang de faiseur plus ou moins salace à caser entre Mocky et Max Dorcel…. Mais Carlotta prouve enfin que les films de Robbe-Grillet se finiront pas tout seuls. Le réalisateur accepta en effet  que l'image se retourne « contre » la narration littéraire et en constitue l'évolution.  Ce transfert passa  -  même si on ne l’a pas compris -  moins du côté de "l'expression" que du côté de la sensibilité et de la nécessité existentielle. Dès lors ce qui compte n'est plus : qu'est-ce qui se dit du monde dans le film ou le livre ? Qu'est-ce qui y rentre ou en sort ? Ce qui compte c'est la procédure, les moments d'évolution, les changements d'"écriture", les formes qui viennent s'inscrire à un moment donné face à ce qui avant s'est écrit d'une manière ou d'une autre.

 

Alain Robbe-Grillet n’a cessé d’approfondir ces rapports. Rien ne les oppose d'ailleurs. Le choix entre ce que Barthes nomme le "filmique" et le livresque s’effectue dans la continuité et l'impératif "logique" du travail. Remodeler l'image ou le texte répond à la même exigence chez l’artiste.  D'où le besoin de ce va-et-vient entre la surface plane de l'écran et celle de la page blanche. Dans les deux cas, il en va chez lui d'un rapport inversé au film comme au roman « classiques ». La présence d'objets aussi "naturels" qu'énigmatiques  est rendue très visible par succession d'interventions particulières tant sur le récit (« L’homme qui ment ») que sur le traitement de ce qu’il est commun d’appeler pornographie (« Trans Europ express », « Glissements progressifs du plaisir »).

 

Dans les deux cas, l'ambition n'est pas de faire un livre film ou un film livre. Il s'agit de l'envie de se confronter avec l'idée de ces narrations en charpie. Robbe-Grillet peut autant parler que montrer « du » pornographique avec une masse, un poids, une épaisseur mais aussi à une abstraction. Il a proposé des expériences diverses en ce domaine. Ce fut l'occasion de prolonger son expérience fondamentale. On peut parler à son propos de film d'écrivain, d'écriture de cinéaste parce que ce qu'il  joue sur la notion même de « genre ».

 

Mais on n’a pas accordé aux films de Robbe-Grillet l’attention qu’on accorde aux films (plus cérébraux ?) de Marguerite Duras. L'idée de la profondeur de vue et de vie y est aussi intense. Et ce fut un pari pour les deux de se diversifier autant dans l’écriture cinématographique que littéraire. Il s'agit de penser le visible, le rapport du fond au motif. Cela renvoie à un rapport de dilatation qu'avait inventé  en art un Matisse. Tout se passe comme si, une fois conceptualisé et fabriqué un espace peut être repris par un autre espace et une autre expérience de perception et de réflexion. A ce titre il faut revenir à cette œuvre plastiquement iconoclaste et qu’il faut sortir du purgatoire où elle dort.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Alain Robbe-Grillet, « Récits cinématographiques », 9 DVD, Carlotta Films, Paris, 2013.

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