Les extases négatives de Cindy Sherman

 

Cindy Sherman, “Untitled Horrors”, Stockholm du 19 àctobre 2013 au 19 janvier-2014. Catalogue “Untitled Horrors” par Daniel Birnbaum, Lena Essling, Gunnar B. Kvaran, Hanne Beate Ueland - Astrup Fearnley MuseetModerna Museet, Stockholm, Kunsthaus Zurich.

Née 1954 dans une banlieue new-yorkaise rien ne prédisposait Cindy Sherman au culte (iconoclaste dans son cas) des images. Elle  doit se contenter de feuilleter parfois l'unique livre d'art de la bibliothèque parentale, présentant les 101 plus beaux tableaux du XXe siècle.. Toutefois elle décide d'entreprendre des études artistiques à l'Université de l'état de New York, à Buffalo. Très vite  la peinture l’ennuie  « …il n'y avait rien à dire de plus. Je me contentais de copier méticuleusement d'autres œuvres, et j'ai réalisé qu'il aurait alors suffi d'utiliser un appareil photo et de me consacrer à d'autres idées » dit-elle. Elle comprend ce que beaucoup de peintres cachent : à savoir que leurs œuvres sont construites à partir de photographies. Elle décide alors d’en découdre  avec ce médium de base qui trop souvent avance masqué. Avec Robert Longo et Charles Clough elle crée d’abord un espace d'exposition indépendant : Hallwalls.  Dès le début  des années 80 Cindy Sherman explore la manière  dont l’identité - féminine en particulier - se construit et comment s’élabore sa perception. Elle revisite les mythologies que les médias proposent.

 

 

Labyrinthique et contradictoire son œuvre (où  elle se représente souvent elle-même comme modèle) est une des plus importantes du temps. Cassant le système de narration par divers types de décadrage, elle modèle un nouveau regard entre le familier et l’inconnu en puisant dans une masse de documents iconographiques. Face à l’ostentation programmée ses reprises soulèvent bien des questions auxquels l’artiste ne prétend pas donner de réponses. Ses « déguisements » ne renvoient pas à des personnages ou à des histoires particulières. Ils suggèrent les figures génériques d’une mythologie populaire – parfois très sombre - comme le furent jadis les personnages du Carnaval de type vénitien ou de la Commedia dell’arte. Chaque portrait ou autoportrait, chaque mise en scène sont des signes de failles qui parcourent la culture occidentale jusque dans ses ombres. Le corps de la femme émerge loin de son statut de machine à fabriquer du fantasme ou d’écrin à hantises. Il devient une enveloppe où se cachent d’autres secrets que ceux qu’imaginent les extases masculines. L’artiste en inverse les effluves. « Le passé ne passe plus dans mes œuvres, elles sont créées contre lui  pour des extases négatives» explique Cindy Sherman. Les hypothèses désirantes déraillent. La créatrice mobilise le corps féminin  en tant que contre feu face à l’imaginaire machiste. Ses « Untitled horrors » comme leur nom l’indique n’ont pas besoin de titre : elles parlent toute seules.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

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