Myriam Eck, Alexandra Fontaine : chassées-croisées

 

 

Myriam Eck, Les yeux dans ton odeur, Livre peint par Alexandra Fontaine,  Approches éditions, Erwann Rougé, 9 rue Pélisson Fontanier, 23210 Bénévent L'abbaye, 16 pages ,  2013

Par l’intermédiaire d’une présence tierce Alexandra Fontaine « répond » à Myriam Eyck par ce que celle-ci vient d'écrire. Cela ressemble à un rite. Chacune offre sa « tournée » (comme on dit vulgairement dans les bars populaires), chacune parle de désir et les deux s’accompagnent  au fond de l’absence qui tombe chaque soir comme tombe le ciel. Mais à la manière des revenants le corps réapparait en ce livre dont à chaque envoi une page se perd. Myriam Eck écrit au nom d'un « état » particulier ; Alexandra Fontaine peint en un « évènement » particulier.  « Je ne sais plus qui j’attends / Les cheveux dans la tête /La tête dans les eaux longues du rêve / Mes bras de souvenirs / Sans hâte / Le visage retourné de la terre » écrit celle. L’artiste lui offre un « repons » pour qu’elle relève la tête.  L’une demande le parfum du corps, l’autre offre son regard. Sur la page blanche (du temps) formes et couleurs tente de conquérir ce que l’écriture ne sauve pas forcément mais qu’au contraire elle enfonce. Toutefois la peinture et l’écriture offrent une double correspondance : entre elles-mêmes d’abord et ensuite entre les sensations. Existent donc des rapports de fond  dans cette invocation d’une incapacité de vivre autrement que dans l’autre. Il convient de franchir sa limite là où les mots emportent et où les images offrent des étendues continentales inconnues.

D’où l’émoi particulier tiré du fond d’une mémoire visuelle, olfactive, affective (surtout) que la peinture entretient. Elle favorise l’obsession capitale, la « maladie mentale » où les mots se perdent et que la peinture reprend en charge dans le relief trouble d’étranges paysages. L’artiste semble dire à la poétesse : il n'est pas question de vous en sortir autrement sous peine de rester à l’état  de fantôme et d’énigme  absolue. A savoir ni vraie, ni fausse : écrite.  Ce à quoi la seconde répond que ses mots ne sont peut-être preuve de rien mais ils sont dédiés autant au tiers aimé qu’à l’artiste elle-même. A la fin chacune prend toute la place car demeure entre le texte et l’image un sens particulier et bijectif : l'envie de se lever et de partir, de ne jamais se lever, de ne jamais partir.  Au rêve de l’une s’offre celui de l’autre à l’aune du désir réservé aux Saintes qui savent que par lui on ne gagne rien. Les corps se croisent, se divisent. Les corps font toujours ce que les mots ne font pas. Comment expliquer autrement pourquoi les mots sont noirs et qu’ils ont besoin de peinture ?

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

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1 commentaire

anonymous

le dessin est bien beau et donne à lui seul envie de voir ce livre, d'en lire les poèmes qu'on imagine doux et douloureux. Le titre aussi, qui invoque le plus secret des sens, le plus muet - bien plus que les yeux ou la peau... La correspondance aussi qui lie les deux femmes paraît désirable.

De ces désirs donc naît celui de voir, de lire...