Gulliver chez les caricaturistes - Victor Hugo par la caricature

Levant dans la main droite un marteau, tenant dans la gauche les maillons d’une chaîne, Victor Hugo, la tête énorme et carrée au-dessus d’un corps tout petit, frappe sur une enclume et brise les fers, en l’occurrence ceux de « tous les condamnés pour actes relatifs aux événements de mars, avril et mai 1871 ». Il a en effet déposé le 28 janvier 1879 une proposition d’amnistie en vue d’ « effacer toutes les traces de guerre civile ». La caricature est signée André Gill (1840-1885) et paraît dans La Petite Lune, un hebdomadaire satirique que le dessinateur avait fondé. Les caricatures, les portraits-charges et les dessins qui se moquent de l’écrivain, le ridiculisent, persiflent sinon outragent sa grandeur sont innombrables. Ce bel ouvrage d’un grand connaisseur de Hugo les recense, année après année et met en scène des centaines de visages du grand homme et de poses hugoliennes calculées qui au fil du temps évoluent et restent en même temps fidèles au génial modèle, tel que ses contemporains le voyaient et que la postérité le garde en mémoire. 

 

Parmi les grands hommes, qu’ils soient politiques, artistes, scientifiques, savants que le XIXe siècle a caricaturés, Victor Hugo est sans conteste la cible la plus visée. Sa personnalité hors du commun, ses engagements multiples, ses prises de positions novatrices, ses ouvrages innombrables, sa vie privée rendue publique ont fait l’objet d’un concours incessant d’images et de montages le tournant en dérision. Si certaines par l’exagération du trait voire les erreurs d’appréciation des talents méritent moins d’attention, la grande majorité d’entre elles paraissent avec le recul du temps et les changements de perspectives d’une remarquable finesse d’analyse. Toutes rivalisent d’un sens aigu de l’à-propos et d’une aptitude à la mise en place des points saillants déclenchant le rire.

 

Le jeu de massacre commence par cette « forte tête romantique », en 1833, où la taille du front sert déjà de marqueur, habité qu’il est par une intelligence hors norme et ce « laboratoire de pensée » qui étonne le reste du monde. Il est le « Hugoth » qui « a enfoncé Racine ». Tous les journaux de l’époque, dont les noms sont plus ou moins connus, comme Le Charivari, Le Journal pour rire, Le Pétard, La Vie parisienne, L’Homme qui rit, L’Eclair, tapent à loisir sur le « pape littéraire ». Faustin, Alfred Le Petit, Cham, Girin, Emile Evrard, Bertall, Carjat, Daumier bien sûr, campent l’homme « dans sa suffisance » et ironisent avec bonheur sur tout ce qui concerne « le vieux Orphée ». Parfois, quand il est jeune notamment, on ajoute à ce front un nez de Pinocchio. Les trouvailles fusent, les répliques cinglantes jaillissent, les mots qui tuent accompagnent aussi bien les premières pages des publications que les petites vignettes, les « croquades » remplissent les pages de « silhouettes et binettes ».

 

Hugo est un thème inaltérable, un sujet inépuisable. Chaque ouvrage de lui, chaque geste, chaque moment de son existence sont autant d’occasions de trouvailles et de sarcasmes, de quolibets, de railleries et de piques. Ainsi peut-on lire, sous un dessin montrant un acteur les joues gonflées par un cor, devant l’apparition de la tête rayonnante de l’écrivain dans un halo de rayons solaires: « Hernani de son souffle puissant dissipe les nuages et rend au soleil tout son éclat ». Ailleurs, on voit Hugo trônant debout sur deux livres dont l’un a pour titre Les Misérables, posés sur un petit rocher au milieu de la mer : « L’île de Guernesey n’ayant rien à envier à l’île de Rhodes ; elle aussi a son colosse ».

 

La statue du Gulliver des lettres s’érige et se délite tour à tour. Mais Victor Hugo n’est pas en reste et son humour est renvoyé en retour à ses détracteurs. Dans une correspondance datée 2 mai 1867, alors qu’il est à Hauteville House, il écrit à Pilotell, pseudonyme de Georges Raoul Eugène Pilotelle :

 

Monsieur,

Je vous autorise à faire de moi la caricature après le portrait, car votre beau talent m’est connu par un magnifique frontispice de Notre Dame de Paris. Je vous envoie ainsi qu’à vos spirituels collaborateurs toutes mes cordialités.

Victor Hugo.

 

De même, ne manifestant semble-t-il ni rancune ni amertume, il estime que Gill l’a enchanté et qu’ « il y a un peintre dans ce caricaturiste, il y        a un penseur dans ce parodiste. J’autorise ma charge et d’avance j’applaudis». Citons encore, parmi tant d’anecdotes aussi savoureuses qu’acides, ce dessin de Daumier, au trait vivant, contrasté, captant dans l’instant même de la conversation les manières qui révèlent la société et ce dialogue entre un propriétaire recevant en robe de chambre un locataire qui s’est vêtu de sa redingote :

- Ce logement est un peu cher pour la Place Royale

- Un peu cher… un peu cher… mais je vous ai dit que de cette fenêtre, vous pouvez voir deux ou trois fois par semaine se lever Victor Hugo.

 

Peu à peu, une évidente reconnaissance des extraordinaires qualités du maître trouve sa place dans la presse. Le Temps, Le Figaro, Le Gaulois relaient les informations concernant sa maladie. A la mort de Hugo, « entré vivant dans l’immortalité », le ton acerbe de quelques caricaturistes ne lâche pourtant rien. On peut voir l’archevêque Guilbert, monté sur le toit de l’Hôtel Victor Hugo, tendre au-dessus d’une cheminée un filet à papillon afin d’ « attraper l’âme du grand poète ». Le dieu est mort, « l’Hugotianisme a remplacé le Christianisme ». Mais la France a logé dans son cœur et son affection celui que longtemps elle avait brocardé. Elle lui a offert le Panthéon.

 

Abondamment illustré - il aurait été souhaitable que les sources, les auteurs et les dates des illustrations soient indiquées à côté des illustrations, ce qui aurait facilité la lecture (on les retrouve cependant insérées dans les textes proches et grâce à l’index) - ce livre constitue un document unique permettant de mesurer le rôle dominant de l’auteur des Burgraves et la place immense et unique que Victor Hugo a occupée pendant prés d’un siècle dans le paysage national, que ce soit en politique ou en littérature. Incomparable témoin de son temps, visionnaire, artiste à ses heures, défenseur de causes légitimes, exilé, loué ou banni, il prend rang parmi nos héros et sa gloire demeure. Ces pages très bien renseignées et écrites, sont un véritable hommage rendu à celui que pamphlétaires et libellistes fustigeaient autant qu’ils l’admiraient. Tous les amis d’Hugo auront plaisir à posséder ce livre.    

 

Dominique Vergnon

 

Gérard Pouchain, Victor Hugo par la caricature, Les Editions de l’Amateur, 216 pages, 27x32 cm, 350 illustrations, relié, novembre 2013, 49 €

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