Brion Gysin ou le peintre "raté"


 

Brian Gysin, "Pickpockett", 

Brian Gysin & William Burroughs, "CM".

Editions Derrière la salle de bain, Rouen.

 

"l'art est ce qui se passe dans le système nerveux de l'homme"

(W.S. Burroughs)

 

 

 

C'est pour beaucoup un fait acquis et ce depuis sa première tentative d'exposition avec les Surréalistes en 1933 à la galerie Charpentier : Brion Gysin est un peintre raté. Raté mais musclé. C'est pourquoi - l'anecdote est à souligner - André Breton redoutant une réaction violente de la part de l'artiste américain, demanda à Paul Eluard, exécuteur des basses œuvres, d'aller décrocher des cimaises les toiles du peintre pour anti-surréalisme (un peu) et pédérastie (beaucoup). Gysin ne s'en est pas offusqué outre mesure, d'autant qu'il avait mis le doigt sur la nature du pape surréaliste et sur les limites d'un mouvement prétendument libératoire. Pour son monarque l'amour fou se limita à l’amour de soi.

 

Gysin n'en voulut pas pour autant aux surréalistes. Il s'amusa plutôt de leurs jeux dérisoires et  les accueillit amicalement lors de leur exil américain pendant la Seconde Guerre Mondiale. A cette époque l’autodidacte s'intéressait à la calligraphie japonaise. Elle allait bouleverser son approche de la peinture. A travers elle Gysin perçut la limite de la peinture occidentale. Il ne s'agissait pour lui et par le cadre qu'une page d'un livre pendue au mur. Par ailleurs il comprit que l'exploitation de la perspective ne fut qu'une parmi une multitude de solutions.

 

Échappant à un contrôle objectif toutes ses œuvres peuvent trouver comme titre commun celui d’une de ses séries : dreamachines. L’ensemble du corpus plastique et poétique demeure encore  occulté. Il n'en demeure pas moins que l’œuvre reste  la machine à broyer les images qui nous entourent.  Certes, il est bien plus facile de cracher sur Gysin que de se frotter à ses multiples apports. L'artiste lui même s'est prêté à ce jeu de gladiateur voué, par ses provocations,  à la vindicte populaire. Mais n'y voyait-il pas aussi une nécessaire stratégie exemplaire de déconstruction : déconstruction de l'image de l'artiste lui-même ? Certes, d'une certaine façon de l'œuvre de Gysin il ne reste rien, le peintre est donc un peintre raté. Mais ce rien est un tout : il engage à une ouverture de l'image, pousse à en déchirer les voiles par de multiples accrocs et mots clés.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

 

 

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