Krystin Vesterälen: la délicieuse déférence d’une artiste accomplie

Krystin Vesterälen a tout d’une femme heureuse: se définissant comme «conteuse inspirée par le Moyen-Âge» elle réalise une «symbiose parfaite avec ses héros», qualités qui, à juste titre, lui suffisent pour exercer un des arts les plus anciens mariant à la perfection oralité et écrit, légende, conte et récit, dans un subtile mélange de réel et de fantastique, pour arriver, selon elle, à sonder en profondeur «la mémoire des hommes […] devenue un patrimoine immatériel». Dès lors, quoi de plus naturel pour cette ancienne conférencière d’art pour qui «les petites histoires finissent par rencontrer la grande Histoire» ! Et si, au fil du temps, son désir de redonner vie aux vieillies histoires a grandi au gré des parcours touristiques, elle a dû se rendre à l’évidence et reconnaître que tout conteur qui se respecte finit, selon des règles qui l’unissent à l’univers conté, par être absorbé et séduit par son propre rôle et devenir ainsi un relais de ces rêves qui n’ont pas fini de traverser notre humanité. «J'aime rêver, nous dit-elle, à juste titre, et amener les auditeurs dans leur propre imaginaire».


Voilà pourquoi, avec cette carte de visite, son art a tout pour enchanter et inciter le petit et le grand public à lire et à écouter ses histoires. Et cela pour plusieurs raisons dont la plus évidente tient de l’extraordinaire capacité de cette auteure-conteuse à filtrer le nectar des œuvres qu’elle revisite pour en soustraire l’essence et l’adapter dans ce qu’elle appelle modestement «des livres-passerelles» ou dans des spectacles de pur style médiéval.


 À son répertoire, des contes traditionnelles des Balkans, de Scandinavie, de Russie, de Celtie, de l’Estonie, de Slovénie, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Roumanie, d’Arménie, de Hongrie, d’Albanie, de Tadjikistan, mais aussi de grands récits tel que L’Odyssée (d’après Homère), L’Iliade (d’après Homère), La Théogonie (d’après Hésiode), Tristan et Yseult (d’après Béroul et Thomas), Beowulf (anonyme), Héloïse et Abélard (d’après leur correspondance), La Chanson de Roland (anonyme), La Princesse de Clèves (d’après Mme de La Fayette), La légende d’Ys (anonyme), Le magicien d’Oz (d’après L. Frank Baum).


Avec la Compagnie du Pausilippe, dont elle est la directrice artistique, Krystin Vesterälen redonne vie à toutes ces légendes et contes, en se produisant dans des collèges, des lycées, des facultés, en résidences de personnes âgées, dans les hôpitaux, en bibliothèques ou dans d’autres  espaces culturels (châteaux, parcs et jardins, musées).

 

Cette infatigable présence sur la scène ne l’empêche de se pencher sur activité de l’écriture. Pour preuve, le livre Tristan et Yseult – légende médiévale, publié aux Éditions Langlois Cécile. «Librement inspiré et conté», comme nous l’indique son sous-titre, ce récit conjugue fidélité aux versions des poètes Béroul et Thomas, et liberté d’expression à l’intention d’un public dont les codes familiaux et sociétaux se sont complétement éloignés de ceux de l’époque du déroulement de la narration. Reste une chose dont Krystin Vesterälen est sûre, c’est l’actualité du sujet qui met en avant l’éternelle présence de l’amour qui lie les deux personnages, deux êtres qui pourraient facilement trouver leurs correspondants parmi nos contemporains, même si nous sommes loin aujourd’hui de ce que l’on appelait jadis «l’amour courtois». Et que l’on veuille ou pas, il faut reconnaître qu’aujourd’hui comme hier, nous recherchons tous l’âme sœur. Voilà pourquoi, avant de raconter une histoire, l’ambition de Krystin Vesterälen était de créer «des personnages vivants, des personnages capables de rêver et d’agir, de défendre leur point de vue».


Sans doute, un texte de ce type n’obéit pas aux mêmes codes d’écriture que ceux utilisés de nos jours dans l’élaboration d'une forme de prose si redevable au genre prédominant qui est celui du roman. Krystin Vesterälen devait faire face à une double évidence : pour mieux maîtriser la construction de son récit, elle devait retourner au moment où celui-ci fut élaboré, au VIIe siècle, et rapprocher, par la suite, cette version orale du texte écrit – dont la version du XIIe siècle, de Béroul et Thomas – et de la langue de l’époque. Quelle surprise pour elle de reconnaître dans la musicalité assoupie de la langue d’oïl et de l’anglo-normand des accords de langage de sa grand-mère, sans parler de la parfaite compréhension de ce récit incroyablement moderne et accessible. Quelle leçon, aussi, à l’intention de tous ces incrédules qui prône la fin annoncée de la poésie! En formulant ainsi cette pérennité de la beauté renfermée dans les trésors de la langue française, Krystin Vesterälen lui déclare à son tour son amour et se délecte de ses saveurs. Ce qui la fait parler, dans l’Introduction à son livre, de «la poésie amoureuse du Moyen-Âge», des «tournures de phrases» et surtout de «la musicalité des mots […] tellement différents de notre époque».


Avec le regret de voir de nos jours tous ces trésors marginalisés, Krystin Vesterälen postule-t-elle un retour à une oralité chantée du texte littéraire telle que les aèdes et les rapsodes l’exerçaient dans les temps anciens ? Et, si oui, comment faut-il l’accueillir, le comprendre et le transmettre aujourd’hui ?


Pour y répondre, on peut proposer ici un triple développement, synonyme pour notre auteure-conteuse de triple enrichissement dans la connaissance technique, artistique et personnelle.  D’abord, un tel travail à, avant tout, un grand mérite de point de vue de l’histoire de la langue et de la littérature, nous renvoyant à des sources sans lesquelles nous serions aujourd’hui incapables de comprendre des siècles de poésie ou des genres plus familiers comme celui si proprement français des chansons à texte. Il y a ensuite, ce que Krystin Vesterälen appelle «le passage de l’épique médiéval à la poésie fluide», avec tout ce que cela implique pour un interprète – conteur ou chanteur – en termes de technique, de dosage d’énergie et de phrasée, éléments si proches de la préparation physique nécessaire dans l’art dramatique et lyrique. Enfin, quoi de mieux pour une connaissance approfondie de soi-même que ce retour aux racines, par l’exercice du patois de son enfance, occasion à faire ressusciter des souvenirs enfuis dans une mémoire presque totalement endormie? À ce stade de son expérience, Krystin Vesterälen puise plutôt dans ses bagages mémoriels que dans une formation universitaire des langues anciennes, un choix qu’elle assume pleinement et qui porte fruit.


De là jusqu’à la scène il n’y a qu’un pas qu’elle franchit avec maîtrise. Avec sa troupe de conteurs et musiciens, elle traverse la France, comme d’autres le firent avant ou vont continuer dans le futur, pour garder vivante cette flamme qui illumine les légendes anciennes. Et même si Krystin Vesterälen ne se pose pas la question – en tout cas, à voix haute –, sur ses motivations, il nous revient à nous de nous interroger sur la valeur et le message de ce dévouement qu’elle manifeste. Et, dans ce sens, la première question à laquelle nous aurions à répondre est, sans doute, liée au mobile qui pousse une artiste comme elle à faire avec autant d’abnégation ce métier. La réponse est, de toute évidence, plus complexe que de reproduire des lieux communs : elle tient plutôt de la rare capacité d’un sacrifice qui exclut toute perspective de carrière, de gloire et de notoriété publique – ces vanités qui ont fini de nos jours par conduire à la fabrication des stars – et qui définit le véritable artiste dont le premier et seul accomplissement est celui de servir son art. Mais, il y a plus que cela : le métier d’actrice-conteuse qu’elle exerce ne le fait pas oublier qu’elle est en même temps «une magicienne complémentaire des auteurs auxquels elle redonne la voix, le souffle, l'esprit», comme la définit un de ses amis.


Que dire de plus de son travail et de sa personnalité si ce n’est que, comme toute artiste, son œuvre d’écriture et d’interprétation ne demande qu’à être découverte par le grand public.


L’invitation est donc lancée à tous ceux qui croient encore à la valeur indestructible du discours poétique et à la capacité de la tradition de continuer à nous parler des choses qu’elles nous semblent oubliées, alors qu’elles n’étaient que perdues dans un petit coin de mémoire que Krystin Vesterälen se délecte à remettre au goût du jour dans une délicieuse  déférence.

 

Œuvres de Krystin Vesterälen :


Les contes de la Goutte de Miel (tome I), Editions Les 2 Encres, 2011.

Soslan et Koser (album jeunesse), Auto-édition, 2012.

Compère Naoume (album jeunesse), Auto-édition, 2012.

Dahut. L'Epousée de la Mer (livre-patrimoine), Auto-édition, 2013.

Tristan et Yseult - légende médiévale (livre-passerelle), Editions Langlois Cécile, 2013, 123 pages, 14 euros.


Les Contes de la Goutte de Miel (tome 1 : Europe de l'Est): un recueil de contes traditionnels de l’ancienne Russie, de l’Estonie, de Slovénie, de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Roumanie, d’Arménie, de Hongrie, d’Albanie, de Tasjistan …

http://www.pausilippe.com/boutique.htm

L'Odyssée d'après Homère, livre audio, MP3, CD

http://www.pausilippe.com/boutique.htm

Dahut, l'épousée de la mer (d'après la légende bretonne de la ville d'Ys)

http://www.pausilippe.com/boutique.htm

MP et CDs

http://www.pausilippe.com/boutique.htm

 

Pour plus d’informations sur l’œuvre et l’activité de la compagnie théâtrale de Krystin Vesterälen:

http://www.pausilippe.com/

 

Sur le même thème

1 commentaire

J'ai eu la grande joie de rencontrer Mme Krystin Vesterälen. Elle contait cette prodigieuse légende. Rien qu'avec ses mots j'ai été plongé dans l'époque des chevaliers. Elle est certes une conteuse mais je crois qu'elle plus chercheuse. 
J'ai redécouvert la légende en lisant son livre. Et les recherches menées sur le vocabulaire, l'historique... sont savantes.
Ce livre est accessible à tous quel que soit l'âge. 
Je l'ai fait lire à mes élèves de 5ème. Et tous ont ensuite restitué cette légende grâce à des TP.
Je conseille la lecture à tous les collégiens, lycéens.
Je conseille vivement à tous les professeurs de lire ce livre et que celui-ci devienne une base de travail.