Emma Barthere : avis aux voyeurs


 

 

Encore adolescente et découvrant l’œuvre de Joël Peter Witkin Emma Barthere a su qu’elle serait photographe et qu’elle en transgresserait les codes. Immobiles dans le tintamarre de l’univers industriel ou aux confins des lagunes ses femmes nues dissolvent les apparences sans pour autant faire le lit du voyeur.  Elles sont les odalisques de la féminité assumée parfois dans d’ultimes réverbérations crépusculaire et dans un équilibre précaire mais jusqu’au triomphe d’un enfantement cosmique particulier.

 


 

Le voyeur est exposé aux morsures du corps nu qui jette une froideur  indifférente ou provocatrice sur celui qui le fixe. Si bien que la supposée « proie » transperce le chasseur là où l’espace et le temps perdent leurs repères classiques et loin de l’univers miroitant des habituels  jeux et similitudes.

 

Il n’y a ni geste, ni bien sûr de mots. Un simple regard mutique  déchire le nœud des fantasmes et porte le nu vers un propos sans la moindre candeur sucrée. Le voyeur dans son élan de basse lisse n’a qu’à mater ; la photographie sait que tout amour lui est fermé. Entre le modèle et l’objectif surgit donc corps à corps de deux vertiges en des éclairs fixés pour réveiller les langoureux rêveurs. Restent entre ellipse et énoncé -  des moments de grâce où l’attendu est décalé loin des folies érotiques à la triste opulence.

 

Emma Barthere crée  un envoutement souvent froid où la femme devient moins psaume de chair que lumière dans le chaos du monde ou elle inscrit son harmonie. Elle devient le point d’impact d’un sublime isolement dans le royaume soudain écorché de la machine. Elle le désengorge si bien que la nudité par elle-même fait sens loin même de l’habituel jeu (répétitif) d’éros et de thanatos.

 

La femme est aussi fragile que forteresse, sirène d’elle-même elle ose ce que les mâles ne font pas : avancer à découvert. Prête  à accueillir dans un grandiose dénuement le museau noir d’un vieux loup décharné  elle ensorcèle son quotidien. Face à l’obscur elle est l’aurore qui invente les couleurs.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Emma Barthere,  "Pieds Nus", portfolio, collection Espaces, éditions Chez Higgins, Montreuil .

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