Le cortège du Corrège

De son vrai nom Antonio Allegri, connu en italien comme il Correggio - le Corrège en français - né en 1489 à Correggio, appellation de son village, est mort en mars 1534. Il est un de ces artistes de la haute Renaissance aussi mal connu que célèbre, par le nom tout au moins et quelques œuvres, comme cette Madone et enfant (à Modène) où tout se dit sur un seul regard de tendresse mutuelle. Longtemps les données directes et confirmées à son sujet ont fait défaut. On a retenu de lui bien sûr ce goût pour le « clair-obscur où les couleurs se nourrissent de reflets chauds », la « sincérité des formes» et cette « volonté de grâce » qui parfois n’est pas loin d’une certaine préciosité. Ses tableaux étaient « agréables même avant d’avoir parlé à l’âme » dira Stendhal. Mantegna est de ses maîtres. Il serait entré en contact avec Léonard de Vinci. Peut-être a-t-il vu à Rome des œuvres de Raphaël et Michel-Ange ?

 

En 1519, il est à Parme, pour répondre à une demande précise, de celle qu’on ne refuse pas. La Mère abbesse Giovanna da Piacenza, une femme d’exception, a sollicité du peintre un travail de décoration dans les appartements abbatiaux qui ont été construits dans le couvent des Bénédictines de San Paolo, à Parme. Giovanna est sans doute fière de ses origines, sûrement autoritaire, mais surtout cultivée, sachant s’entourer d’humanistes et de lettrés. Suivant les souhaits de l’abbesse, pour ne pas dire peut-être obéissant à ses désirs, le Corrège entreprend un travail extraordinaire dans cette pièce, longtemps oubliée, ignorée, de forme à peu près carrée. (Elle ne sera redécouverte qu’en 1774). Il décore la voûte et en fait « une structure aérienne pleine de fantaisie mais parfaitement logique par rapport au lieu». Sur les 16 parties du plafond, qui sont comme autant de panneaux séparés par des nervures assurant toutefois une continuité entre eux, se terminant en pointe, s’ouvrent autant de lunettes en grisaille avec au-dessus des oculi où logent des putti qui s’activent, rient, jouent, l’un d’eux par exemple, tenant dans ses bras un agneau. L’ensemble de « ce rébus mythologique » est composé et achevé en l’espace d’environ deux ans par la main même du Corrège. Il exécute là un véritable chef d’œuvre, à la fois par sa qualité esthétique et sa portée symbolique. Comment comprendre les secrets iconographiques de cette pièce ? Quel message livre-t-elle ? Allégorie de la chasse, série de fables dont le sens aurait été clair aux contemporains de Donna Giovanna alors qu’il nous échappe ? Qu’il nous échappait, faut-il dire, jusqu’à ce qu’Erwin Panofsky s’y intéresse.

 

Son livre est remarquable. Il lève le voile et dévoile les mystères, résout les énigmes et apporte les solutions aux questions. L’historien fait appel pour déchiffrer les devises latines et expliquer le déroulement de ce cortège de figures étonnantes, à toutes les connaissances possibles de la littérature antique, relit l’Iliade, convoque Aristote et Cicéron, compare ce qu’il voit avec des dessins de Jean Cousin et des médailles appartenant aux Médicis. Il mène une passionnante enquête, qui page après page, révèle les indices cachés qui permettent, au terme de ce parcours unique et merveilleux, de saisir la vérité et de comprendre pourquoi, en levant les yeux, le visiteur admire un des plus beaux théâtres de l’art. On lit ce texte comme un roman, avec encore plus d’intérêt puisqu’il est véridique.

Dominique Vergnon 


Erwin Panofsky, Corrège, la Camera di San Paolo à Parme, Hazan, 13,5x20 cm, 144 pages, 76 illustrations, avril 2014, 12 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.