L'autoportrait permet à Anne Voeffray d'exposer
son corps comme énigme. Se montrant, il se cache tout autant. Il sourd du plus
profond mangé d'ombres qui s'éclairent plus ou moins dans l’ondoiement de
tissus aux troublantes transparences ou par les « imperfections » que
l’artiste a soin d’apposer à sa propre image. Le questionnement qui s'engage
est bien plus profond que celui de la sensualité. Distancié par l’effet de la
proximitié, le corps s’offre et se refuse. Mais si divers types de voiles
étoffent le visage ce n’est pas pour lui accorderl’exigeante virginité des moniales ou àl’inverse l’effroyable humilité des filles déshonorés.
Chaque « self » (plus que
simple selfie) joue sur un rendu simultané des facettes intimes et publiques.
L'intimiténe se remodèle pas selon
nature : elle s’enrichitpar
superposition de strates parfois incompatibles. Peut s'y chercher l’image d’une
autre femme, qu’on aurait côtoyée peut-être du moins rêvée à l'évidence. Surgit
aussile regard ambigu sur le statut non
moins ambigu de la féminité dans une société avide toujours de prétendue
« clarté ».
La photographe donne à voir un travail de
sape salutairede la vraie liberté.
Celle qui fonde et qui brise. La femme est présente sous uneinflorescence qui la prolonge et l’isole.
Chaque self est presque une stance surréaliste quihabille de « taches » l’identité.
Dès lors Anne Voeffray incarnela femme
libéréede son statut d’imagerie admise
et attendue. La créatrice renverse la proposition de Duras. A son « je
traverse, j’ai été traversée »s’impose
« j’ai été traversée, le traverse ».
Reste une magie tendre ou grave. Drôle
parfois. Preuve que dans de tels autoportraits le réel n’est pas parti. Du
moins pas trop loin. Pas en totalité Chaque « self » devient un
roman,un cinéma (presque) muet. Car les
images parlent non un dialogue de cire mais de circonstances.
Au sein d’un genre apparemment
« cadré » l'œuvre ne cherche pas à atteindre un « temps
pur » et comme sauvé des eaux mais un temps morcelé où l’artiste casse les
duperies. Ça a un nom. C'est l'existence. Ou encore l'existence dépouillée et
complexe.C’est aussi au sein même de
l’autoportrait son inverse : l’éloge du secret. Il permet à l’artiste
d’approfondir le concept de féminité hors du charmant, du décoratif par des jeux
formels de détournements
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