Kalev de Gaing : perdre la face
Kalev de Gaing prouve qu’il existe diverses logiques dans l’art du portrait. Le visage peut échapper à l’identité et à l’apparence. L’artiste propose à leur place une autre vérité d’incorporation. A l’inverse d’un Man Ray qui renonça à l’art pictural pour la photographie parce qu’il était capable de peindre le visage, De Gaing génère celui qui n’est plus « à » l'image mais « dedans ». Il a compris de manière intuitive comment depuis l'Antiquité grecque où visage et masques étaient indissociables, le premier est devenu le centre de toutes les ambiguïtés selon une logique anthropomorphique de l'art occidental. Contre cette propension, il oblitère la "visagéité" (Beckett) identitaire. Elle n’est qu’une "fausse évidence" sauf à croire à des théories héritées de XIXème siècle.
L’approche de l’image de l’être prend des racines plus sourdes. L’anonymat programmé du visage devient la métaphore de ce que la société produit sur ses exclus. Le créateur s’attache à capter les postures et leurs mouvements. La profondeur de l’être, son existence prisonnière jaillissent par traces et l’éclat diffracté de la lumière sur la « peau » de la peinture. Le silence, l’absence du regard sont remplacés par les couleurs étouffées, l’empreinte du noir et blanc en une multitude fractionnée et des balbutiements d’ombre qui permettent l’appréhension d'un "qui je suis". Il vient torde le cou au "si je suis" que semblerait impliquer l’absence de visage comme réponse au « délit de sale gueule ».
Kalev de Gaing illustre prouve combien par la peinture et le dessin - au sein même d'une forme de classicisme qui va chercher ses sources dans larue comme dans les arts premiers ou extrême-orientaux - l’identité "s'envisage" et se "dévisage". Le créateur transforme les notions d'anonymat et de reconnaissance. Personnages sans visage, identités a priori fantômes brouillent les clichés sur la psychologisation de la peinture et émettent une vision politique des invisibles dans la peinture. L’œuvre permet de franchir le seuil de l'endroit où tout semble se laisser voir vers un espace où tout se perd tant sur le plan personnel et social pour approcher une présence plus proche du secret de la « persona » là où souvent les conditions de vie la biffe
Jean-Paul Gavard-Perret
2 commentaires
Cela laisee une impression forte et une emprise profonde... bravo de Gain
Heureux de ton retour "phalafel", en réponse à ta question... Non, je ne me suis pas inspiré d'une actrice connue, et c'est aussi bien si tu la vois.