comme une
musique qui s’éteint au loin, dans la nuit.
Voix, Constantin Cavafy
«Au
commencement c’était le Verbe» cite Jean dans le Prologue de l’Évangile pour
définir la force suprême de la création du monde. Et si la création artistique pourrait être conçue
comme un acte, comme une expression de cosmogonie divine, dans le sens où le
créateur-artiste, un dieu tout puissant lui-même, crée ex nihilo et par conséquent
donne de la forme à ce qui est amorphe et énonce son propre Verbe créatif pour donner
souffle de vie à sa création, alors l’univers artistique de Vassilis
Garyfallakis invite sans doute le spectateur d’entendre bien la nature divine
et la puissance cosmogonique du Verbe du créateur-artiste, et ainsi, la voix
incarnée de sa création éloquente.
Une
voix dont la vibration primitive pourrait être aperçue comme la résonnance assourdissante
d’une explosion cosmique, d’un Apocalypse universel qui se rend visible de
manière triomphante sur les toiles abstraites de l’artiste, pareilles à des
palimpsestes ; le plus on en gratte la surface, le plus ils révèlent des
écritures mystiques de la création atemporelle. À la suite, elle
se transforme en langage bien articulé, personnel,
humain, intime, extraverti, critique, caustique ou humoristique, soit en cris inarticulés d’agonie existentielle et d’instants
silencieux, de larmes étouffées, même en fragile bruissement des moments de
méditation et d’intimité, tous dépeints expressivement sur les portraits, les sculptures
ou les fresques. En fin, dans les «hagiographies » imposantes de l’artiste
– son autoportrait y inclus – cette voix magique et multiforme du créateur
acquiert une nuance spirituelle, presque métaphysique, devient psaume et
prière, se transforme en hymne religieux mélodique, aspirant à confronter de
façon provocatrice le divin, en quête de
la catharsis de l’âme, si bien désirée.
Si
pour autant, en première vue, la voix ésotérique de l’artiste semble être
limitée à des autoréférences, essentiellement,
elle s’ouvre en plusieurs niveaux à un dialogue intertextuel perpétuel. Ainsi,
elle fait écho de manière explicite à l’esthétique baroque, elle est en rapport
fertile avec l’œuvre artistique de Da Vinci, de Pisanello et de Rodin, elle recourt
aux chansons de geste de la littérature médiévale, elle intègre la poésie des
troubadours, elle reflète les techniques byzantines de l’hagiographie, elle se
met en dialogue avec la photographie contemporaine, elle incorpore des ex-voto
et des éléments métalliques, elle fait activer des symboles religieux, elle
emprunte des scènes à l’histoire ou à la vie quotidienne, elle renvoie aux
peintures murales égyptiennes, elle confronte les fresques de la Renaissance.
Cette multitude des voix charmantes du passé ressort exceptionnellement de
l’œuvre de Garyfallakis chaque fois que les techniques traditionnelles se mêlent
aux matériaux contemporains sur le canevas ou l’aluminium, des surfaces que l’artiste
utilise comme base de son univers pictural. Or, le blanc du canevas devient la
page immaculée où la création artistique
se met en œuvre, le reflet de l’aluminium fonctionne comme la force
purificatrice d’un miroir magique où le créateur se trouve face à face à son
idole, tandis que le fond noir suggère le chaos à travers duquel surgit la
lumière miraculeuse.
Et
ce sont les hymnes de la Musique Ancienne qui accompagnent mélodiquement l’ensemble
de l’œuvre artistique de Vassilis Garyfallakis, en scellant son unité
thématique, des hymnes qui ont fondé historiquement la polyphonie en tant que terme musical. Une
polyphonie qui semble pénétrer l’univers esthétique de l’artiste en plusieurs formes,
en abolissant les contraintes d’une homophonique et par conséquent une stérile approche
de vue. L’artiste, chef d’orchestre d’un concert des voix hétéroclites, il met
en scène de façon magistrale un monde artistique où la polyphonie, au sens
bakhtinien du terme, devient l’autorité primordiale de la création, elle devient
polyphonie polytrope ; un perpétuel
et harmonique contrepoint des Verbes incarnés.
Domna Chanoumidou
Critique d’art.
Vassilis Garyfallakis, V chants. Early music on canvas+, Peinture - Sculpture, 20 Septembre - 15 Octobre 2016, Argo Gallery, Athens.
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