Jazz : Quelques sorties notables
Le voici dans un album publié sous le titre « It’s Only a Paper Moon » (1), enregistré sur le vif en juin 1985 dans un club parisien et resté jusqu’ici inédit. Sans doute les conditions techniques (enregistrement quasi artisanal, son du piano, surtout dans les aigus) justifiaient-elles alors les réticences du pianiste pour une publication. Pourtant, le disque méritait largement d’être exhumé. L’ombre de Fats Waller plane, à travers des compositions telles Ain’t Misbehavin’, Keepin’ Out Of Mischief Now et des standards (Somebody Stole My Gal et autres Sweet Lorraine ou Sugar). Autant d’interprétations que l’on pourrait qualifier d’exemplaires. Tous les amoureux du jazz « classique », tous les apprentis pianistes devraient en faire leur miel : swing intense, main gauche à la fois puissante et légère (très rare, une « pompe » aussi aérienne !), inspiration constante, alliance de la sobriété et de traits virtuoses à la Tatum, tout concourt à la réussite de cet enregistrement qui méritait de passer à la postérité.
Autre pianiste digne d’intérêt, Jérémy Bruger dont le style, abreuvé à des sources diverses, diffère de celui de François Rilhac. Son inspiration puise en effet aussi bien chez Hank Jones que chez Herbie Hancock, Ahmad Jamal et autres grandes figures jalonnant l’histoire du jazz. Un éclectisme servi par un enthousiasme communicatif et qui se traduit par un discours brillant, des improvisations capables de repeindre les standards aux couleurs les plus séduisantes (Nice Work If You Can Get It). Avec cela, compositeur de mélodies qui retiennent l’attention, comme Raf’ Place, dévolu à Raphaël Dever, contrebassiste à la solidité exemplaire, ou Enidnama, titre anagrammatique d’où l’on peut déduire que celle qui a inspiré cette ballade n’était pas dépourvue de charme.
Pierre Christophe figure au nombre des inspirateurs de Jérémy Bruger, selon les propres dires de ce dernier. Choix judicieux. Lui-même élève de Jaki Byard après l’obtention de son Bachelor à la prestigieuse Manhattan School of Music de New York, Christophe est un pianiste complet, l’un des meilleurs que l’on puisse entendre sur la scène actuelle. Il excelle dans le style bop et post bop, sans pour autant se cantonner à ce seul genre, comme en témoigne sa copieuse discographie, tant en leader que comme partenaire de nombreux musiciens, aussi bien français qu’étrangers.
Si la cohésion de l’ensemble, fruit d’une collaboration de quelque trois lustres, frappe dès la première écoute, les solistes font aussi preuve d’une technique éprouvée au service d’une remarquable fraîcheur d’inspiration. Si bien que « March Of The Siamese Children », titre emprunté à la musique de la comédie musicale de Broadway « The King And I », morceau signé Richard Rogers, constitue une belle réussite de plus à porter à leur actif.
Jacques Aboucaya
1 – François Rilhac, « It’s Only A Paper Moon » (octobre 2016)
2 – Jérémy Bruger « Reflections » (mai 2016) Bruger (piano), Raphaël Dever (basse), Mourad Benhammou (batterie).
3 – Mourad Benhammou Jazz Workers Quintet vol.3 (octobre 2016). Benhammou (batterie, Fabien Marcoz (contrebasse, Pierre Christophe (piano), David Sauzay (ténor sax., flûte), Fabien Mary (trompette).
Les trois albums chez Black & Blue, distrib. Socadisc.
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