Jazz. Une rentrée en noir et bleu

Le label Black & Blue, bien connu pour la qualité de ses productions, tant en ce qui concerne le choix des musiciens que l’exigence technique qui préside à ses enregistrements, propose en cette rentrée quatre albums. Tous, à un titre ou un autre, méritent de retenir l’attention des amateurs. Caractéristique commune, ces disques expriment une conception du jazz qui, sans négliger aucunement ses fondamentaux et son histoire, reste ouverte aux innovations. Une musique vivante, tenant compte de la personnalité de ceux qui la composent et la jouent. Soit la confrontation de musiciens éprouvés et de nouveaux talents, avec l’émulation qui en résulte. 

David Sauzay (1) s’impose, depuis plusieurs années, comme un des saxophonistes les plus doués de sa génération. Il le doit à l’expérience acquise auprès de musiciens prestigieux, tant français qu’étrangers, tels Barry Harris, Steve Grossman, Eric Alexander et Alain Jean Marie, entre bien d’autres. A sa capacité de se remettre en question sans jamais s’endormir sur ses lauriers, mais, à l’inverse, à explorer sans cesse de nouvelles voies. Ce travail constant a déjà porté de superbes fruits – en particulier l’album « Meeting With Harold Mabern » (même éditeur) où figurent déjà plusieurs de ses partenaires présents dans son dernier disque, « Playing With David Sauzay ». 

Outre les fidèles Alain Jean Marie (p), Fabien Mary (tp), Mourad Benhammou (dms), il y est entouré par Michel Rosciglione (b) et Michael Joussein (tb), lui-même s’exprimant au ténor et parfois à la flûte, sur des compositions dont il est l’auteur. Cerise sur le gâteau, ses deux fils, Gabriel (b) et Gaspard (tp), sont invités à tester sur un ou deux morceaux les arrangements écrits par leur père, tâche dont ils s’acquittent parfaitement. Résultat, un CD captivant, alternant ou mêlant jazz, qu’il soit inspiré par le bop, tel ce Barry’s Touchdédié à Barry Harris, ou modal, musique caribéenne, rythmes latins, sans jamais perdre de vue cet élément primordial qu’est le swing. Richesse mélodique et harmonique, cohésion, solistes brillants et inventifs, tout concourt à la réussite d’un disque hautement recommandable.

L’album du contrebassiste Dominique Lemerle (2) « This Is New » mérite, lui, aussi, le détour. Et une écoute attentive. Comme David Sauzay, il a multiplié les expériences musicales (on se souvient notamment de sa collaboration avec le guitariste Jimmy Gourley). Il en a nourri son style et met son talent au service d’un quartette qui compte en Michel Perez (g), Manuel Rocheman (p) et Tony Rabeson (dms) des individualités aussi fortes que celle de leur leader. Ici aussi, la diversité est à l’honneur. Kurt Weil, Django Reinhardt, Miles Davis, Jim Hall y côtoient Bille Evans, Richard Rogers, Scott LaFaro et Steve Swallow. Tous retrouvent l’éclat du neuf suggéré par le titre sous les doigts experts de Michel Pérez. Celui-ci met sa fluidité, son élégance et son talent d’improvisateur, qualités que connaissent tous ceux qui ont déjà eu l’occasion d’écouter se enregistrements en leader ou comme sideman, au service d’un groupe auquel Manuel Rocheman et Tony Rabeson apportent une précieuse contribution. Quant au leader, aussi à l’aise qu’il joue pizzicatoou à l’archet (l’exposé de Manoir de mes rêves), en solo ou comme accompagnateur, il fait preuve d’une autorité qui est un facteur essentiel dans la cohésion de l’ensemble. Ce disque lui rend pleine justice.

S’il existe un fin connaisseur de l’œuvre de Cole Porter (1891-1964), c’est bien le saxophoniste ténor Pierrick Menuau (3). Le compositeur américain a, on le sait, alimenté le jazz en standards souvent joués par les plus grands, comme Just One Of Those ThingsI’ve Got You Under My Skinet autres Every Time We Say Good Byeou All Of You, que l’on retrouve avec d’autres dans l’album « Cole Porter Music ». Pour celui-ci, Dominique Le Voadec et Geoffroy Tamisier ont écrit des arrangements qu’interprète le sextette créé par Pierrick Menuau en 2013. On y retrouve Mourad Benhammou à la batterie, avec Yannick Neveu (tp), Mickaël Joussein (tb), Guillaume Hazebrouk ou Dominique Lofficial (p), Simon Mary (b) et le vocaliste Marc Thomas disparu en 2015. La seule performance du chanteur méritait la publication, quelque cinq ans après, des bandes enregistrées à l’époque et restées inédites. Celui-ci excelle notamment dans le scat et déploie une belle énergie. Mais ses partenaires sont à l’unisson. Arrangements soignés et impeccablement exécutés, solistes inspirés, à l’image des soufflants dans l’immortel What Is This Thing Called Love. Tous les ingrédients sont réunis pour revisiter avec un enthousiasme intact une musique dont le caractère intemporel est ainsi souligné.

Le pianiste, compositeur et arrangeur Yannick Chambre a réuni, à l’enseigne de Massif Collectif (4), un quintette composé de Davy Sladek (ss), Franck Alcaraz (ts), Dominique Mollet (b) et Marc Verne (dms). Le premier album du groupe, « Ratatam », vient de voir le jour et témoigne de la fraîcheur d’un ensemble auquel il serait malaisé d’attribuer quelque étiquette que ce soit. Impossible, en effet, de le rattacher avec précision à un quelconque courant musical, et ce n’est pas le moindre de ses mérites. Loin de manifester une soumission à la mode, de subir les diktats de ce qu’il est convenu d’appeler les « musiques actuelles », Massif Collectif se meut à l’écart de toutes les chapelles. Autant dire qu’il transcende allègrement époques et frontières, se nourrit d’une inspiration puisée dans des territoires musicaux divers à travers lesquels il caracole. Le Jazz, ses rythmes, sa liberté d’improvisation, lui confèrent toutefois leur couleur propre. L’impression qui domine, à l’écoute de ce premier disque, est celle d’une liberté d’autant plus réjouissante qu’elle est devenue plutôt rare. Puisse ce groupe aux qualités individuelles et collectives indéniables ne jamais s’en départir !

Jacques Aboucaya

1 – David Sauzay « Plating With David Sauzay »

2 – Dominique Lemerle Quartet « This Is New »

3 – Pierrick Menuau Sextet (featuring Marc Thomas) « Cole Porter Music »

4 – Massif Collectif « Ratatam »

Les quatre albums chez Black & Blue / Socadisc 

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