Les sculptures de Hanneke Beaumont, le calme et l’attente

« Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle ». Ces mots de Rodin viennent à l’esprit quand on regarde les sculptures de Hanneke Beaumont. Dans leur silence, leurs attitudes qui sont celles de l’agenouillement, de l’allongement, de l’apaisement, de l’attente, parfois du déséquilibre proche de la chute, parfois de l’assise voisine du repos, du geste qui reste inachevé et du mouvement pas encore figé, elles semblent appartenir naturellement à l’espace, s’y inscrire dans la puissance et la douceur unies. Sans doute parce qu’elles l’occupent sans vouloir le conquérir, ce qui revient à mieux se l’approprier. On est maître de ce qu’on ne cherche pas à posséder, pour paraphraser Sénèque !
L’extrême talent de cette artiste ne viendrait-il pas de cette capacité, qui fait défaut à tant d’artistes contemporains, d’exprimer ce qu’elle ressent au fond d’elle-même en évitant un discours inutile sur la condition de l’homme d’aujourd’hui. Saluons cette volonté de sincérité.

Les œuvres que Hanneke Beaumont exécute et qui consacrent une carrière reconnue désormais internationalement parlent d’abord de ce qui est immuable chez l’être, de sa confrontation avec le temps qui sans cesse le rattrape, de son interrogation renouvelée sur la destinée, de sa fragilité, de sa solidarité avec ses semblables. D’où ces yeux qui fixent, ces mains qui agrippent ou implorent, ces positions fermes et ces visages lisses qui pour certains sont à la frontière du masculin et du féminin. S’il y a une uniformité des formes, si les ressemblances a priori sont frappantes entre les statues, à bien y regarder, le travail des mains exploitent d’abord la matière pour l’animer, au sens premier du terme. Ces individus bien que n’ayant pas d’identités discernables et d’âges évidents, n’étant pas originaires de lieux connus, habitent cependant partout où les questions existentielles se posent.

 

Le travail dont le bronze, la terre et la fonte rendent compte, s’ennoblit au contact de celui des patines, des accidents calculés, des modelés et des drapés qui serrent les volumes tout en les laissant vivre. Hanneke Beaumont le dit avec à-propos, « je suis vraiment une artiste de l’argile ». A la lumière il revient de jouer sur ces menues aspérités pour donner aux colorations et aux oxydations leur chaleur, une espèce de respiration qui fait que l’on croit être devant des vivants qui ont été soudain immobilisés sous le regard des autres.

Le texte de Joseph Antenucci Becherer, professeur et commissaire de nombreuses expositions consacrées à la sculpture est remarquable en tous points. Il analyse à l’aune de son expérience dans ce domaine et des expositions et des programmes qu’il a organisés autour de noms célèbres couvrant un large éventail de styles et de périodes, comme Rodin, Miró, Maillol, Lipchitz, Louise Bourgeois, Anish Kapoor et d’autres, l’œuvre de Hanneke Beaumont. Placée sous l’angle de l’histoire, elle serait une lointaine héritière des maîtres de l’art statuaire, ceux de la Renaissance italienne, notamment Verrocchio. Ceux aussi de la dignité grecque, celle des auriges sans la palme, le casque ou les guides.

 

Mais comme aucun artiste ne part jamais de rien, même s’il le pense, il est aussi loisible de relier également la manière de Hanneke Beaumont à d’autres sculpteurs comme Giacometti et Isamu Noguchi, envers lesquels elle se sent proche. « Sa boussole esthétique n’indique ni le nord ni le sud, mais l’âme du passé et l’esprit d’un inconfortable présent tirant vers l’avenir. Magnifiquement juxtaposées, ses œuvres sont à la fois présentes et insaisissables » écrit l’auteur. La quiétude dont il parle s’entoure aussi de mystère, et de là, d’angoisse. S’il y a du calme, il y a aussi de la résignation perceptible dans ces sculptures. Des pages qui restituent dans leur originalité foncière ces sculptures et que les photos rendent dans leur vérité.
Le mot de Rodin s’impose ici.

 

Dominique Vergnon

 

Joseph Antenucci Becherer, Hanneke Beaumont, sculptures, 34x26 cm, éditions Lannoo, novembre 2018, 272 pages, 55  euros.

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