Voix de jazz.  American Folk Blues Festival, Behia, Aurore Voilqué

Le blues est l’un des grands courants de la musique noire américaine dont le succès ne s’est jamais démenti. A l’origine du jazz avec le negro spiritual et le ragtime, il a su évoluer au fil des ans sans jamais abdiquer sa spécificité. Si bien qu’entre les pionniers et les tenants actuels d’un genre qui a inspiré et inspire toujours nombre de groupes européens, des Rolling Stones à nos rockers nationaux encore en vogue, aucune solution de continuité. Plutôt la permanence, dans le respect de codes formels clairement définis, d’un état d’esprit qui animait déjà les Big Bill Broonzy, Muddy Waters, Memphis Slim et autres grands qui on œuvré à la propagation de leur art.

De cette permanence, témoigne la publication de l’album « American Folk Blues Festival 2002 » (1), enregistré lors d’une tournée européenne et publié plus de trois lustres plus tard. La formule a longtemps connu le succès. Inaugurées en 1962,  les tournées annuelles de l’American Folk Blues Festival se poursuivirent quasiment sans discontinuer jusqu’en 1985, permettant de faire découvrir en direct la plupart des grands bluesmen d’Outre-Atlantique. 

Reprise en 2002, la présente édition ne faillit pas à la règle de ses devancières. Soutenus par une excellente formation européenne, celle du pianiste allemand Frank Muschalle, spécialiste du blues et du boogie woogie, Carey Bell, Hubert Sumlin, Bob Stroger, Louisiana Red et Rusty Zinn plongent l’auditeur dans un climat auquel il est difficile de rester insensible. Tour à tour torride et nostalgique, toujours prenant, le blues déroule ses fastes et sa magie, servi par des interprètes dont chacun respire l’authenticité. Impossible d’établir entre eux la moindre hiérarchie. Chacun a ses qualités propres, de vocaliste et d’instrumentiste. Rien à jeter dans un disque enregistré live, la chaleur du public suppléant avantageusement la froide technique des studios.  Il séduira les amateurs chevronnés et offrira aux néophytes la meilleure des introductions.

Autre source d’inspiration qui a contribué et contribue toujours à innerver le jazz, c’est ce que l’on a pu qualifier de Great American Song Book. Un répertoire quasi inépuisable constitué des grands succès de Broadway, entre les années 1920 et les années 1960. Chansons, opérettes, revues, comédies musicales, autant de matériaux utilisés tant par les chanteurs que par les instrumentistes, quels que soient leur époque et leur style. Parmi les grandes figures qui ont imprimé leur empreinte sur ce genre de musique, Cole Porter. Ce prolifique compositeur et parolier, actif entre 1915 et 1964, soit durant toutes les années de  ce que l’on nommait Tin Pan Alley, du nom du quartier newyorkais où s’étaient regroupés les éditeurs de musique, jusqu’à la vogue du rock and roll, a sans doute été le principal pourvoyeur de ce qui ne portait pas encore l’appellation de tubes. Love For SaleJust One Of ThoseThings,Night And DayI’ve Got You Under My Skin, autant de titres devenus des standards.Ils ont inspiré aussi bien Louis Armstrong que Charlie Parker, Ella Fitzgerald que Frank Sinatra, pour s’en tenir aux plus notoires. 

De ces succès universellement connus et de quelques autres, Behia  donne, sous le titre « Night And Day With Cole Porter » (2), une version très personnelle et attachante. La chanteuse, dont le royaume s’étend à la Côte d’Azur, mériterait d’être connue et programmée ailleurs, si les organisateurs de concerts et de festivals ne souffraient une incurable frilosité. Non seulement sa voix séduit d’emblée par sa fraîcheur, son timbre, le naturel avec lequel elle fait siens des thèmes pour lesquels elle semble faite, mais son mérite est aussi le fruit d’autres facteurs : une diction parfaite, le sens du swing, une expressivité dépourvue de pathos, l’art de broder autour de la mélodie de délicates variations (I Concentrate On You). Il faut y ajouter la qualité de ses accompagnateurs, le pianiste Philippe Cocogne, auteur des arrangements, le saxophoniste Manu Carré, Philippe Brassoud à la contrebasse et Jérôme Achat à la batterie. Autant de musiciens accomplis, capables d’offrir un écrin digne d’elle à une vocaliste dont le talent demeure encore trop confidentiel.

Un autre genre qui connaît toujours le succès, celui qui porte l’étiquette de « Jazz manouche ». Il consiste à faire fructifier avec plus ou moins de bonheur l’héritage du génial guitariste que fut Django Reinhardt. Plusieurs des compositions de ce dernier sont reprises dans un album particulièrement allègre, « Valse bohémienne » (3). La violoniste et vocaliste Aurore Voilqué et son trio (Mathieu Chatelain, guitare rythmique, et Claudius Dupont, contrebasse) y accueillent le guitariste virtuose Angelo Debarre, digne héritier de Django. Résultat, une réussite propre à mettre en valeur Aurore Voilqué, dont les dons de chanteuse valent ses qualités d’instrumentiste alliant swing et musicalité (Minouche). Outre Django, sont convoqués Benny Golson et son Wisper Not, Charles Aznavour (J’aime Paris au mois de mai) ou encore Paul Misraki (Insensiblement). Un éclectisme du meilleur aloi. L’assaisonnement à la sauce bohémienne pimente des romances dont la plupart sont bien connues. Elles en acquièrent une saveur nouvelle et délectable.

Jacques Aboucaya

1 – « American Folk Blues Festival 2002 ». Black & Blue / Socadisc

2 – Behia Jazz Band « Night And Day With Cole Porter ». Black & Blue / Socadisc

3 – Aurore Voilqué Trio featuring Angelo Debarre « Valse bohémienne ». La Pierre Brute / Arts & Spectacles 2018

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.