Jazz. Une plongée dans la tradition

Un album du Jérôme Laborde’s Big Four au titre on ne peut plus explicite : « New Orleans » (1). La ville où tout a commencé. Où a pris naissance la musique qui devait conquérir le monde. Rien de plus rafraichissant que ce retour aux sources. Y sont convoqués des titres emblématiques, Panama,Sweet LorraineChina Boyet autres Willie TheWeeper ou Lazy River qui ont traversé les décennies. Des thèmes qui, même s’ils ont été maintes fois interprétés, n’ont pas pris une ride et retrouvent ici leur verdeur originelle. Plus significatif encore, l’esprit des pionniers souffle sur ce disque dont le mérite essentiel est de ne pas chercher à faire du neuf à tout prix. Une tentation à laquelle cèdent de trop nombreux musiciens actuels. Ici, pas de faux-semblants. Un maître mot, le swing. Il apparaît comme le dénominateur commun d’interprètes talentueux dont l’enthousiasme et un parti pris d’authenticité restent la marque propre. 

Le tromboniste Jérôme Laborde, l’un des piliers des Swing Bones, manifeste sa maîtrise technique sans qu’une vélocité gratuite vienne jamais entacher son discours. S’il fallait lui trouver des références, c’est du côté de Kid Ory, mais aussi de Jack Teagarden qu’il faudrait chercher. Il a réuni un quartette qui manifeste une parfaite connaissance de l’histoire du jazz. Il se meut avec aisance dans l’univers des Hot Five et Hot Seven de Louis Armstrong, celui de Kid Ory déjà cité, de John Saint-Cyr et de Johnny Dodds. Non qu’il s’agisse d’une reproduction à l’identique ou d’une copie servile. Chacun fait montre d’une personnalité originale. Ainsi Jérôme Gatius, qui alterne clarinette et saxophone soprano, allie, à une sonorité fluide, une capacité à adapter son discours à celui du leader. Sans compter son lyrisme, issu en droite ligne de celui de Sidney Bechet, et un art consommé de l’improvisation qui rend délectable chacun de ses soli. Tous les arrangements sont, du reste, conçus pour mettre en valeur la connivence des deux souffleurs auxquels vient s’adjoindre dans quelques morceaux, Tom Saunders, au tuba et au saxophone basse. La rythmique chargée de propulser l’ensemble vers les sommets – Ludovic Guichard (guitare) et Greg Ricoy (contrebasse) –  se montre, par sa légèreté et sa cohérence, à la hauteur d’une entreprise des plus louables. 

La Section Rythmique propose un nouvel album, « La Section Rythmique + 2, Harry Allen, Luigi Grasso » (2). Composée du guitariste David Blenckhorn, du contrebassiste Sébastien Girardot et du batteur Guillaume Nouaux, elle a démontré à maintes reprises sa valeur. Probablement le seul trio actuel capable de conjuguer avec brio son ancrage dans la grande tradition du jazz et un idiome plus moderne. C’est qu’ici encore, le swing, dont on ne répètera jamais assez qu’il demeure la vertu cardinale de cette musique, est partie intégrante de son style. La valeur individuelle de ses membres n’est plus à souligner. Pas davantage leur entente. 

Une idéale piste d’envol pour des solistes de la trempe de ceux qui officient dans ce nouvel album, deux musiciens de réputation internationale. Harry Allen, saxophoniste ténor américain, a fait ses preuves aux côtés de nombre de musiciens de renom, notamment le guitariste Bucky Pizzarelli. Dans la mouvance de Scott Hamilton, il perpétue le style de Coleman Hawkins dont l’influence est sensible dans son phrasé.

Quant à Luigi Grasso, saxophoniste italien dont la prédilection reste l’alto, il a plongé très jeune dans le jazz, bénéficiant notamment de l’enseignement du pianiste Barry Harris et de l’adoubement de Wynton Marsalis qui voyait en lui le musicien européen le plus doué qu’il ait rencontré depuis longtemps. Dans son héritage, les acquis de Johnny Hodges aussi bien que de Benny Carter et, bien sûr, de Charlie Parker. Une apparente facilité que traduit la vélocité de ses développements. Un lyrisme qui ne verse jamais dans le pathos. 

C’est dire combien passionnante se révèle la rencontre de ces deux soufflants dont on apprécie la complémentarité aussi bien que la complicité. En témoigne, entre autres, Blues Up And Down, de Gene Ammons et Sonny Stitt. Le reste du répertoire, emprunté à Hoagy Carmichael, Al Cohn et Wes Montgomery en passant par Billy Strayhorn et Duke Ellington, restitue à merveille le climat de ce jazz classique dont les séductions, loin d’être épuisées, se perpétuent avec bonheur. Cet album en témoigne avec éloquence.

Jacques Aboucaya

1. Jérôme Laborde’s Big Four, « New Orleans », autoproduit / tibone33@gmail.com

2 . « La Section Rythmique + 2, Harry Allen, Luigi Grasso », Frémeaux & Associés / Socadisc.

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