Arts et fastes dans les Flandres bourguignonnes

Entre les deux villes, on compte une centaine de kilomètres, ce qui les rend géographiquement proches. Certains d’ailleurs les distinguent peu ou mal. Bruges et Malines ont cependant écrit leurs propres pages d’histoire, ont joué des rôles différents, possèdent des monuments selon leurs vocations citadines et gardent leurs traditions civiques. Et si le passé les fait se recouper en entremêlant périodes riches quand les denrées précieuses se vendent bien et périodes pauvres quand les événements sont contraires, elles l’ont enrichi de manière significative et distincte. Les visiter au présent permet de remonter leur temps et de découvrir deux lieux ayant l’un et l’autre un haut intérêt artistique et patrimonial.

Bruges témoigne de son rayonnement dès le début du XVe siècle en diffusant partout un mot dont on a oublié l’origine, le mot « bourse ». Il provient du nom de la famille Van den Beurse, qui possédait non loin du beffroi une maison où se traitaient les affaires et s’échangeaient les monnaies. C’est à Bruges aussi que fut créé l’Ordre de la Toison d’or, le 10 janvier 1430. Memling y vécut et y mourut. Pour sa part, Malines qui était revenu à la fin du XIVe siècle  au duc de Bourgogne Philippe le Hardi, disposait du Grand Conseil des Pays-Bas, mis en place par Charles le Téméraire. On peut voir encore dans la vaste salle où siégeaient les juges ce qui subsiste des peintures murales. Sur une carte datée de 1477 qui précise l’étendue territoriale des Pays-Bas bourguignons, l’emprise des ducs sur ces provinces nordiques est évidente et se manifeste dans tous les domaines, politique, social, religieux, esthétique. Cette puissante unification durera jusqu’à l’éclatement causé et habilement guerroyé par Louis XI, appelé « le prudent ».

Deux musées à voir. Ce sont deux remarquables centres d’art renfermant des trésors insoupçonnés. De loin, leur architecture a des points communs, ne serait-ce que la brique, les pignons à redents, les fenêtres à meneaux, les tours à pans octogonaux. De près, les caractéristiques de chacun de ces deux bâtiments s’accusent et les rendent uniques. Le magnifique ensemble néo-gothique de la maison Gruuthuse que l’architecte Louis Delacenserie restaure complètement entre 1883 et 1895 s’ouvre à nouveau au public après une fermeture pour travaux. Passé le seuil que surmonte la devise de Louis de Gruuthuse dont on peut voir le portrait sur fond rouge peint en 1480, « Plus est en vous », les collections se déploient sur trois étages couvrant quatre siècles d’art. Tapisseries, mobilier, peintures, dentelles, céramiques, les livres comme ceux de Colard Mansion, les œuvres présentées ont toutes une histoire et toutes portent la marque insigne de créateurs souvent anonymes. « Les ducs transforment les Pays-Bas bourguignons en un « Etat spectacle » dont les empereurs et les papes eux-mêmes envient le rayonnement » écrit Matthias Depoorter. Des fastes de la cour aux modes de vie des familles aristocratiques comme des foyers plus modestes, le parcours invite à suivre en détail et au quotidien ces riches heures où la grandeur rejoignait l’utilité, le bon goût le sens pratique. L’extraordinaire exemplaire de « pile », en néerlandais « pijlgewicht », réalisé en 1568 à Nuremberg, permettait de peser les produits, des plus lourds aux plus fragiles et précieux comme l’or ou certains épices, grâce à un ingénieux système de godets s’emboîtant et étalonnés pour que chaque récipient pèse le double de celui qui le précède.

 

Dans la continuité des cultures flamandes et bourguignonnes, suivant un autre registre mais avec tout autant de magnificence et de valeur artistique, s’inscrivent les collections de la Hof Van Busleyden, le musée de Malines, également rénové. Marguerite d’Autriche avait établi sa cour dans cette ville en 1507, qui depuis 1301, disposait d’un droit majeur, celui d’entreposer le sel. Au bord de la Dyle, la maison corporative « Au grand saumon » de style renaissant évoque ce privilège et se repère aisément grâce au poisson rosé et sculpté qui décore l’entrée. La statue de celle qu’on nomme affectueusement ici « Notre Margriet » trône sur la Schoenmarkt. Hieronymus van Busleyden, qui a voyagé jusqu’à Padoue, appartient à cette classe des humanistes qui au XVIème siècle fait de l’Europe un vaste espace de savoir et de raffinement. Une splendide huile sur bois exécutée par Jan Coessaert, vers 1587, décrit de façon à la fois précise et monumentale la Séance solennelle d’ouverture du Parlement de Malines sous Charles le Téméraire, le 3 janvier 1474. C’est une polyphonie de tons rouges, bruns et noirs, rendant vivants les alignements des visages des magistrats dont les noms sont mentionnés en lettres gothiques blanches. Avec Michiel Coxcie, né à Malines, Coessaert entre sans conteste à la suite des grands maîtres que furent Van Eyck, Dierick Bouts, Rogier van der Weyden, Gérard David ou encore Quentin Metsys, dans cette longue et prestigieuse suite de ceux qui ont haussé la peinture flamande à un niveau de perfection et d’intelligente beauté absolues. Les poupées de Malines, les pièces de dévotion en albâtre, les incroyables jardins clos fleuris élaborés par de pieuses mains et logés dans des sortes de retables et le manuscrit de Petrus Alamire, joyau inestimable de 1515, sont les jalons parmi bien d’autres d’un ensemble qui parle avec éloquence de la qualité et de l’intérêt de ce musée.

Dominique Vergnon

Matthias Depoorter, Le Gruuthusemuseum, 138 illustrations, 210 x160, éditions Ludion, 128 p.-, mai 2019, 12 euros
Samuel Mareel et al., Museum Hof van Busleyden, 53 illustrations, 290 x 230, 40 p.-, 12 euros.

 

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