Toulouse Lautrec, une vie au plus près

A plusieurs reprises, dans ce petit ouvrage publié à point au moment où se déroule au Grand Palais une exposition qui est consacrée au peintre, se lisent les mots que Toulouse-Lautrec répétait, semble-t-il, souvent, Ah la Vie, la Vie, avec une majuscule. Une vie qu’il a vécue de multiples façons,  avec le don de sa vocation, comme une scène où il va tenir son rôle à sa manière et non sans une "hautaine indépendance". Une vie comme le contrepoids nécessaire à ce qui va si vite venir, la mort. La vie pour rire, s’amuser, surtout beaucoup travailler.

Notamment écrire, car en plus du pinceau, Lautrec tient la plume. Et sur la feuille comme sur la toile, il a un  style à lui, usant à la fois des détails pour décrire et d’un sens affiné de la synthèse, qui font qu’on lit avec plaisir ses comptes rendus. Ainsi en 1884, quand la démocratie est au Salon. Egalité, encombrement. Rien n’y manque. Le suffrage universel a envahi jusqu’aux sphères sublunaires où règne Cabanel… 
Quelques lignes plus loin, il écrit en conclusion à propos des œuvres exposées, beaucoup de jolies choses, mais seulement jolies ; la note moyenne est séduisante, et puis comment en vouloir à des gens qui vous font passer un après-midi. Mais il n’est pas toujours aussi caustique. Ce qu’il dit de Boudin montre qu’il sait saluer les qualités d’un confrère : J’ai été voir l’exposition de M. Boudin qui s’en paie une à lui tout seul. Je n’ai pas à envisager ici les antécédents de M. Boudin, fils de matelot, gabier, timonier ou calfat. J’ai seulement trouvé  en lui un peintre point du tout banal, qui, sans sa touche grise et souvent monotone, reste charmeur…Je citerai son Port du Havre en temps d’orage, les vergues blanches tranchant sur le ciel violet, et qui fait tache au milieu des centaines d’études qui remplissent cinq ou six salles. C’est un convaincu.

Maurice Joyant (1864-1930) ami d’enfance de Toulouse-Lautrec, également marchand et critique, collectionneur de beaucoup d’œuvres du peintre et à l’origine du musée d’Albi, relate  des faits vécus au quotidien de la vie de celui que Tristan Bernard, qui l’a bien connu, considérait comme un grand petit homme prodigieux.
Pour Pierre Mac Orlan, il était en plus un gentleman. L’auteur exécute un portrait vif, contrasté, coloré, partant de la lignée ancestrale pour conduire le lecteur jusqu’à l’extinction de cette flamme qui a intensément brûlé ses jours, alors même qu’au moment de trépasser, Henri pat’cassée fait des projets d’atelier ! Une trajectoire flamboyante et brève, qui relie tout un Paris de l’époque, du Moulin Rouge et Montmartre à Degas et Jane Avril. On le suit aussi en Belgique et à Londres. En marge de la vie nocturne et de ses extravagances, des excès et des amitiés, ce texte éclaire une vie révélée dans sa dimension humaine, et qui rappelle que spéculer sur des bas instincts et les exploiter pour exalter ou rabaisser son œuvre, est un acte de trahison à son endroit.
Toulouse-Lautrec dépasse l’impudeur à laquelle certains critiques le limitaient.  L’art n’est pas une leçon de morale.

Dominique Vergnon    

Maurice Joyant, Henri de Toulouse-Lautrec, éditions de Paris-Max Chaleil, 150 x 230, 144 p.-, octobre 2019, 15 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.