Serge Fiorio, semeur de songes

Portrait par Pierre Ricou

              Serge Fiorio à l'atelier devant l'un de ses nombreux Carnaval. Photo Pierre Ricou, 1992.


Confinement aidant, voilà une page que je viens de retrouver en remuant un peu du passé dans un cahier d'archives. J'ai simplement cru bon d'en dépoussiérer quelque peu plusieurs lignes.
Semeur de songes, voilà un titre qu'il me semble bien avoir déjà utilisé pour un autre artiste dans un autre article, ce qui n'est cependant pas aujourd'hui déshabiller Pierre pour habiller Paul car, bien qu'étant chacun plus ou moins bien différenciés, les artistes véritables ont cependant, sur un plan à la fois plus vaste et plus subtil, pas mal de choses en commun et parfois même, bien marqués, certains airs de famille.

                                                                                                                               * 

   Ceux qui ne sont pas un brin poète sont tous des menteurs !
   Serge Fiorio.

                                                                                                                               * 

C'est un beau métier d'apprivoiser les hommes, de les conduire par les chemins de l'imaginaire jusqu'où bat le cœur secret des réalités. Celui-là est poète qui leur fait sentir, en transparence, et comme si de rien était, tous les fils qui les relient au monde, et les relient entre eux !
D'une certaine façon - il n'y en a pas tant que cela en vérité -, c'est les transfigurer, les transmuer, sans qu'il n'y puissent rien, ni du cerveau, ni encore moins du cœur. 
Là, plus outil qu'arme, l'art de Serge Fiorio est très subtil et très puissant à la fois, à la dimension des capacités de chacun, de chacune. Il a cette façon bien à lui d'interpréter le monde, infiniment discrète, tout en ayant un large spectre d'action sur les sensibilités innombrables.

Être confronté à l'une de ses toiles - tout comme se confiner un temps en l'une d'elles, c'est, miracolo !, s'ouvrir soi-même à une riche et vaste palette d'émotions et d'expériences jusque-là enfouies, bafouées, trop souvent saccagées, par la raison et l'intellect ; c'est faire le voyage, plus que le retour, vers Le Tout Premier Matin, autant dire vers Les Riches Heures du Meilleur des Mondes. C'est glisser sans tambour ni trompette, sans fifre et sans tambourin, je veux dire sans discours et sans philosophie, non pas de l'autre côté du miroir - cela est trop communément vain et sans issue - mais au travers.

Miroir de l'œuvre qu'on avait pourtant au départ bien pris la précaution de baliser par pure peur de s'y perdre : naïf, surréaliste, primitif, que sais-je ! Nos tiroirs, à ras bord, sont bourrés d'étiquettes !
Mais, sitôt le voyage amorcé, une sensibilité nouvelle se fait jour. On dit alors très simplement : « Je suis ému. » C'est là une mort et une résurrection, en tête-à-tête. Pour cela, il lui suffit pourtant d'une petite fête de couleurs sur une place de marché, du caractère altier d'une Neige ou d'un cyprès, de l'amitié cuivrée d'un Paysage, de la présence de telle ou telle Souche extravagante auprès de tel ou tel monolithique Berger, par exemple...

Et si à chaque toile, de tout son être, remuent ainsi ciel et terre, c'est pour nous insuffler le goût grave du mystère, nous y plonger entier, la tête la première, et par là raviver nos sens endormis, chasser les ombres, mieux faire vibrer ainsi, verticale, notre âme à la lumière...
Alors, pour la première fois et en réalité, l'univers tout entier est une boule de cristal où nous pouvons renaître.

 

Quelques pensées, déclarations et réflexions, du peintre.

La peinture est un engagement.
Quand l’esprit, le cœur, la main, travaillent à exprimer ce qui a été vécu et senti au plus profond d’un être, l’émotion passe.
   
Peu de peintres savent oublier ce qu’ils ont appris pour ne laisser parler que leur cœur.   
Un chiffon sale, même étiqueté et catalogué 
Art Contemporain, reste un chiffon sale !    
L’ignorance, en peinture, n’est pas un handicap mais, par les moyens de bord, le point de départ de découvertes originales.    
Les étiquettes qu’on me colle sur le dos, ici ou là, ne tiennent pas. Elles n’ont qu’un seul mérite : me faire rire !    
Au départ, c’est sûr, on a un don – quelque chose de 
donné, qui ne vient pas de soi — et c’est quelque chose de précieux. Je ne sais pas à qui dire merci mais je lui dis merci tous les jours.    
Je suis un enregistreur d’images, et peindre des spectacles aussi beaux, ou inattendus, que ceux que je peux voir les yeux fermés ou en rêve est une sollicitation constante qui m’entraîne toujours plus en avant. Mais je dois choisir, car j’en vois beaucoup plus que ce que je ne peux en peindre !    
Chacun de mes tableaux raconte quelque chose.    
L’originalité ça ne s’invente pas : c’est un miracle que de peindre !    
Des jours, j’ai une fée dans la main !    
Voir, c’est déjà peindre ; et la peinture appartient à ceux qui la voient.    
Il n’existe pas, en peinture, de problème sans solution.    
Certains mots ont un pouvoir très fort d’évocation, plus fort que la moyenne, ils sont les maillons d’une chaîne vivante, bien que souvent insoupçonnée.    
Il y a des mots magiques pour moi, on prononce
forêt et je vois tout de suite quelque chose, des odeurs arrivent à mon nez ; bref, un monde apparaît avec ses particularités.    
L’essentiel est bien que la vie soit de la poésie en action !
    
Quand je peins, il m’est plus facile de dire ce que je vois que ce que je fais.   
La vérité, on la cherche, on ne la trouve pas.    
À force, je finis par ne plus voir que ce que mon imagination me propose et les images surgissant de mes souvenirs.   
Après mon travail à la carrière à ciel-ouvert, je voulais un emploi qui, surtout, me fasse vivre dehors, en plein air. J’aurais volontiers été cantonnier, paysan, jardinier, pour tout le restant de ma vie. Au lieu, j’ai finalement passé beaucoup de mon temps à peindre, heureux, bien heureux sans, pour ce faire, jamais sortir de mon atelier, ni vouloir, à aucun moment, changer ce destin contre tout l’or du monde !    
Pour être écologiques — mais afin que le courant passe — mes toiles n’en comportent pas moins, indispensables dans la composition, des lignes à haute ou moyenne tension.    
Les premiers vrais tableaux que je vis, ce furent les miens !    
La mort fait partie de la vie !    
J’aime ce que je fais parce que je fais des choses que j’aime.   

 

André Lombard

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