Fiorio en son magistral portrait de Giono à l'étoile et à la colombe.

 

Peint en 1934 et aujourd'hui exposé au sein de la galerie de portraits du musée Rousseau de Laval au débouché d'une pérégrination assez incroyable qui dura des années, ce portrait est le fruit d'une commande étonnante car venue, en effet, de la part du modèle !

Serge, maintenant tu vas aller plus loin, tu vas faire mon portrait !  Giono n’exprimait en fait par là rien de moins qu’une pure déclaration d'amour ainsi faite à la peinture Fiorio, assortie, doublée plutôt, à cette occasion d’un vif encouragement au jeune peintre d’alors tout juste vingt-trois ans, l'avant-dernier des quatre enfants de son cousin Émile entrepreneur carrier à Taninges, en Haute Savoie, chez qui, en ces premières années trente, il séjournait souvent en vacances.
Mais cette fois c'est Serge qui, comme de coutume de temps à autre en hiver, est descendu de ses montagnes sur Manosque par le train à la descente duquel, sans plus attendre, Giono aussitôt l’interpelle, l'entreprend.
L'aventure durera finalement trois semaines, au Paraïs, dans le bureau du rez-de-chaussée où, en ce temps-là, les pages manuscrites de Que ma joie demeure encore inachevé foisonnent sur la table.
Après s'être rendu dès le lendemain matin par l’autocar à Marseille afin d'y acheter la toile, les pinceaux, les couleurs, Serge Fiorio se construit à la hâte, par les moyens du bord, une sorte de chevalet sommaire à partir d'une chaise rustique provençale sur le siège de paille de laquelle une banale assiette plate fera office de palette où disposer, ainsi que quelque peu mélanger, les couleurs principales.

Et puis tous deux s'installent, seulement un pas de plus que la largeur de la table-bureau les sépare. D'un côté l'un écrit pendant qu'en vis-à-vis l'autre dessine et peint, partageant là, d'entrée, un même fort enthousiasme créatif. Tout cela, par un tacite accord, dans le plus parfait silence ; sans doute pour ne pas effaroucher un brin l’inspiration figurée sur la toile par une robuste colombe blanche à l'œil rond, duveteuse, posée sans façon près de l'écrivain assis à sa table d'écriture tandis que le jeune peintre travaille debout, lui, selon son habitude, se contentant de saisir de Giono ce qu'il enregistre au passage quand celui-ci s'arrête un instant d’écrire et, à ce moment-là seulement, pose parfois le porte-plume et lève en tout cas enfin la tête de dessus son feuillet manuscrit. Mais cela lui suffit amplement car il est peintre n’est-ce pas, et quel peintre déjà ! De surcroît, par leur proche fréquentation, il en connaît depuis longtemps par cœur le visage, autant qu'il ressent la lumière intérieure du lieu ; sachant bien, de plus, en son âme et conscience d'artiste véritable, qu'il ne s'agit pas, en rien, de simplement reproduire fidèlement selon l'heure du jour où la ressemblance, mais bien plutôt de faire une nouvelle fois - étape importante, celle-là peut-être même majeure, de leur relation - quelque temps chemin ensemble, intemporel. Mais en le cas, sur place, de l'intérieur, en un voyage immobile d'avance pour toujours mémorable.
Et cette colombe - pureté, simplicité, qui est, je l'ai dit, présence familière de l'inspiration - tournée vers le poète et que son bec désigne, prédomine en fait sur le bureau en véritable ange d'Annonciation, bien plus qu'en simple mascotte.
Quant à la grande étoile blanche aux branches aiguës suspendue dans le ciel en pentacle au-dessus d'un Manosque haut perché ceint de remparts, elle est aussi un clin d'œil pour évoquer et ici mettre en œuvre le petit rite oraculaire qu'ils accomplissent ensemble pour commencer la journée : Nous avions coutume, par jeu, de dessiner de la main qui nous était la moins familière - c'est-à-dire de la gauche pour tous les deux - et d'un seul trait, une étoile à cinq branches. Celui qui obtenait la plus parfaite figure avait gagné !
C'est pourquoi j'aime imaginer et crois facilement que ce signe, symbole de perfection récurrent et porte-bonheur maison entre eux inventé, fut la première chose que le peintre, s'empêchant de trembler, dessina directement sur sa toile afin d'intéresser les dieux à la réussite du portrait. Ayant fait son effet, bien entendu elle y est restée. On voit que sur sa page manuscrite Giono lui aussi avait fait de son mieux, tentant sa chance de son côté.

Fiorio peignant ici Giono si proche de lui, en alter ego de par la force de l'imaginaire - ce que le temps, depuis, n'a jamais cessé de confirmer -, à travers lui cette fois, se révèle de nouveau grand poète à son tour. Il n'y a d'ailleurs - certaines anecdotes étant convaincantes, n'est-ce pas - qu'à entendre les deux familles désignant chacune à sa façon ce même tableau en un chassé-croisé plaçant en fait les deux artistes - évidemment chacun en son genre - à un même niveau. Cela donne chez les Fiorio : Ah, oui, le portrait de Jean ! Et du côté Giono : Ah, oui, le portrait de Serge ! 

André Lombard

 

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Il  y a eu erreur d'illustration, ce portrait n'est pas celui auquel s'attache l'article !

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