Pascal Payen-Appenzeller, le poète bâtisseur de mondes...

Expert stratigraphe du patrimoine, historien des sites, producteur radiophonique, professeur de l’enseignement supérieur et directeur général délégué du Geste d’or, l’écrivain Pascal Payen-Appenzeller (PPA) se survolte en une énergie de l’essor poétique qui le sacre  prince en poésie.
La flamme est un vent désespéré qui prend la couleur noire des enfers apparus sous un ciel, couvercle baudelairien, écrit Pascal Payen-Appenzeller, lors d’une fulgurance poétique jaillie en cette nuit terrible du 15 avril 2019. De sa fenêtre du neuvième étage, il venait de voir  Notre-Dame de Paris s’embraser en buisson ardent. Non seulement, il en avait été le conservateur vigilant, mais lui avait aussi dédié un film, L’étrange balade de Quasimodo (réalisé par Bruno Gantillon, 1974). Il avoue avoir été effleuré par la tentation de la défenestration. Alors, il voit la tour nord se redresser – et renonce à rejoindre les anges : Ma messe macabre me nourrit d’une eucharistie obscure. Au moment de basculer, la tour se redresse. La nuit ne s’est pas prolongée assez pour que l’aube me retrouve, immobilisé entre les deux vigies de l’Ouest.
L’expert stratigraphe du Patrimoine et théologien réformé vient d’être sacré en mars dernier "prince en poésie", un titre échu à Maurice Carême (1899-1978), l’un de ses poètes préférés dont il a bien connu la veuve, Caprine. Mais qui ne connaît-il pas, à Paris et ailleurs, parmi ceux qui enchantent la vie – ou l’ordonnent ?
Son appartement parisien donne sur le cimetière du Père Lachaise auquel il a consacré un livre (Promenades hors des sentiers au bois du Père-Lachaise, 2005). Il évoque un de ces cabinets de curiosités du temps de la marine à voile – il se laisse explorer comme la cale d'un galion aux trésors insolites : peintures d'artistes, grilles forgées par Goudji, livres de bibliophile et œuvres accumulées en de multiples vies antérieures. Des vies, il avoue en mener neuf de front, pour le moins, comme pour abuser de lui-même, de dépassements en émerveillements, pour mieux se rejoindre...
Directeur général délégué de l’association Le Geste d’Or, une communauté transversale d’action et d’urgence réunissant maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, entreprises, gestionnaires, chercheurs et usagers, il est aménageur du territoire et restaurateur du patrimoine, avec une attention particulière aux matériaux et produits utilisés sous le signe de l’eco-planète. Il s’agit non seulement de conserver les bâtiments existants, d’en préserver les qualités tant thermiques qu’esthétiques et fonctionnelles mais aussi de les adapter pour limiter le coût environnemental des travaux.
Le  premier métier de Pascal Payen-Appenzeller est conférencier es-Paris, professeur de géographie et de vie urbaine, ce qui regroupe maintes spécialités comme l’anthropologie, la sociologie, etc. Issu d'une famille propriétaire de grands moulins, il a été tout naturellement meunier puis il a appris les métiers d’architecte et de tailleur de pierre, auprès des Compagnons – une formation qui transparaît dans l’art de la structure de sa poésie. De la pierre brute, celle du mégalithe ou des pierres à cupules à la pierre meunière et la pierre angulaire de la société, il œuvre à partir du vrai de cette terre à un monde plus habitable en parfaite reliance entre l’homme des temps premiers (le «païen », aussi chamane, qu’il avoue être à ses heures...), le bâtisseur, conseiller de la présidence du groupe Vinci et l’enseignant qui assure à l’université un cours de pointe intitulé Cybernétique et symbiotique. Toujours, histoire de relier les savoirs et savoir-faire contre ce qui dissout le monde...

Le poète d’avant la poésie

Lorsqu’il a assuré les enregistrements de l’émission qu’il produit depuis vingt-cinq ans sur Radio Courtoisie, Promenade et flâneries en pays de poésie (le plus fort taux d’audience en France pour ce type d’émission, avec un public estimé à 250 000 auditeurs), il part marier un couple, présider un jury du Geste d’Or à la Cité des Consciences, donner une conférence (la dernière sur Rambutteau...) ou vole à ses rendez-vous avec des décideurs, selon les mandats impératifs d’une réalité en voie d’accélération – son existence poétique, toute tendue vers la volonté du "faire", est un état  d’urgence multidimensionnel permanent contre les déferlements atomisés, parcellarisés du Rien qui se propage... L’Autre, c’est sa grande addiction – ainsi que l’amour, bien évidemment, qui se retrouve jusque dans son goût obsessionnel de la paternité – il déclare 23 enfants, dont nombre d’adoptés...
Ce qu’il exprime, en préface au troisième tome de son Mercure (2020) : La parole, pour vous rendre au centuple ce qui-vous-êtes-à-l’écoute, doit avoir le pouvoir de vous transformer, et pour vous transformer [...] elle doit agir. Agir pour ordonner le monde ou sonner d’un son qui ferait sonner, où qu’elles soient, toutes les richesses du monde, ou encore qui appellerait le monde par l’intérieur, comme la voix de la mère rassemble l’enfant. Ainsi la mère dit à l’enfant je t’aime" et fait de l’amour un des noms de l’univers, un nom qui convoque l’univers à cet amour, le remplit.
Pasteur protestant, également aumônier des Bénédictines, il se dit volontiers "prêtre en poésie" : Ma langue ne sait plus quelle parole porter sur les parvis des églises et devant les peuples rendus sourds, écrit-il dans son Mercure de Paris (éditions Constellation, 2016).
Son prénom est-il lié à Pâques, au "passage" et au "passeur" de poésie qu’il est sur les ondes comme dans son art des reliances ? Mercure est ma figure dit-il – le dieu des voyageurs et commerçants est aussi celui des poètes, s’agissant du doux commerce des hommes. PPA est un anthropoète, survivant de ce temps d’animisme païen d'avant le poétique et même d'avant la poésie. Il rappelle  que le terme poète apparaît au XIIIe siècle, avant ceux de poésie et de poétique - et précise son art poétique en perpétuelle interrogation vers tout ce qu’il ignore encore : Quelle est cette impression de ne rien savoir et/pourtant d’en extraire le poème ?

Le "Paris de Pascal", la forme d’une ville

Sa mère, avec qui il avoue une relation fusionnelle, est fille du pasteur et imprimeur suisse alémanique Friedrich Appenzeller. Son parrain et père adoptif est Jacques Weiss (1894-1987), le frère de la journaliste féministe Louise Weiss (1893-1983), passée à la postérité comme la grand-mère de l’Europe. Polytechnicien et dirigeant de grandes entreprises, le discret Jacques, traducteur de La Vie des Maîtres de Baird Spalding et de La Cosmogonie d'Urantia, veille sur la destinée du jeune Pascal, jusqu’à financer son premier mariage.
Après des études de droit, de lettres, de théologie et de musique, l’heureux filleul fonde en 1966 l’association Connaissance de Paris ainsi que la revue éponyme. Guide de sa capitale menacé par les grands projets de l’automobilisme pompidolesque, il s’investit dans la défense des squares menacés, du Canal Saint-Martin  de l’île de la Cité, citant Ernest Renan (1823-1892) : Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ le respect du passé.
Entré en poésie à l’âge de neuf ans, il ne publie qu’en 1998 avec L’Accès à l’amour (éditions Caractères). Dans l’intervalle, il a vécu une relation quasi filiale avec Jean Cayrol (1910-2005), l’ancien résistant et fort discret éditeur au Seuil qui lui apprend qu’une seule vision suffit lorsqu’elle tient dans quelques mots...
Si les lieux de résidence et leurs aménagements intérieurs en disent long sur ceux qui y élisent leur demeure terrestre, alors son appartement se révèle tout à la fois un lieu de réception au défilé ininterrompu de personnalités comme de solliciteurs, un musée imaginaire en expansion permanente selon ses coups de cœur, un sanctuaire voire une cellule d’ermite en altitude avec vue panoramique sur les toits et la trame historique de la ville-lumière, pour qui sait la voir... Ce à quoi renvoie Appenzell en langue germanique : Zell signifie bien cellule quand Appen renvoie aux Alpes – le tout désignant l’un des vingt-trois cantons suisses...
Une cellule-monde d’où il se surprend à considèrer les poètes contemporains, labellisés comme il faut et bien en cour, comme extérieurs à leur poésie : Ils n'incarnent pas. Ils sont cantonaux : ce sont des faux suisses...
Comment son inspiration torrentielle et chamanique s’accommoderait-elle du verbiage formaté, des piètres jeux textuels ou du langage de synthèse d’une poésie d’élevage se payant juste de mots empruntés, déclinés en poses et postures dans les non-lieux d’une industrie de la parole qui ne permettrait plus de s’élever ni de se respirer en possibilité de civilisation ?
Parmi la centaine de livres qu’il a publiés, surtout dans les domaines de l’architecture et de l’histoire, le Dictionnaire historique des rues de Paris (Minuit), qu’il actualise régulièrement, est indéniablement un de ses grands succès de librairie – après tout, il ne s’agit que de préserver ce qui peut l’être de la maison commune dont il traverse, en passeur ébloui, le miroir éclaté, aussitôt éclairé à la manière d’un cristal de vérité par la ferveur du poème ou de la rencontre. Aux passants qui ne se voient d’avenir que dans l’enceinte de la ville-mirage de s’y réfléchir et s’habiter en  présence urbaine irréfutable, accomplie, contre l’insoutenable, l’impensable et le rien qui se propagent comme un incendie. A eux de se ressourcer dans l’œuvre, forte en lucidité et en évidence pratique, d’un poète bâtisseur de mondes qui ne se lasse pas de poser la pierre philosophale inébranlable de la reconstruction perpétuelle de la Cité face à ce qui barre l’horizon commun.

Michel Loetscher

Première version parue dans Les Affiches d'Alsace et de Lorraine

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.