Edwart Vignot nous propose dans une anthologie de cueillir des dessins comme des poèmes.

Pour nous engager à le lire, l’auteur lui-même propose la méthode. Accepter de monter à bord de son « vaisseau admirable » dans lequel il a réuni les dessins qui lui semblent les plus beaux, les plus intéressants, les plus originaux, exécutés au fil des siècles par des artistes représentant une époque, un style, un thème, une technique et faisant du dessin un processus de création et un outil de travail. Sa cargaison est riche et ample. Ses filets ont ramené sur les rivages de l’art graphique, à côté de feuilles connues, des merveilles enfouies dans les profondeurs des collections et des musées et moins éclairées par la lumière de l’admiration ou de la connaissance. On navigue ainsi entre des îles de beauté qui seraient les chapitres abordés un à un et illustrés par des images élues avec soin : le drapé, le portrait, l’autoportrait, le nu et les nues, en passant par la lecture du repentir qui signifie désir de perfection et de l’étude qui est comme une pierre d’attente, « une pensée jetée sur le papier ».

Pour donner à son anthologie le double attrait de la curiosité et de la passion, Edwart Vignot engage, avec un à-propos qui ne se dément pas au fil des pages, un dialogue entre les œuvres et leurs auteurs et les tournent vers le bénéficiaire qui est le passager privilégié du périple. A l’aide de notices, de citations, de comparaisons, il va à l’essentiel de ce qu’il entend raconter et défendre, il explique ce qui peut échapper, il donne des clés qui ouvrent les portes du savoir et de l’envie d’en savoir plus. Ce ne sont pas des textes érudits qui décourageraient le bonheur de l’amateur de découvrir ce qui se cache derrière tel dessin, ce qu’il signifie, son contexte, l’intention de son auteur. Mais ils lui fournissent assez d’indications pour le faire accéder à un niveau de plaisir renouvelé. L’historien d’art rapproche ainsi dans la section des autoportraits Arcimboldo et Annibal Carrache, dont les visages nous dévisagent. Il en détaille les divergences, qui disent la tension pour l’un et l’humour pour l’autre. Dans la section des félins - animaux qui ont presqu’autant que les chevaux fasciné les artistes - il montre que du lion de Rembrandt se dégage comme une humanité de surcroît et que de celui de Géricault sourd un réalisme et une fantaisie conjuguées qui la lui enlèvent, ce qui attache dans les yeux de l’un une lumière de bonté et accroche dans ceux du second une lueur de cruauté. Dans celle consacrée aux détails, il oppose les casques de Dürer et ceux d’Ingres, les gris bleus de l’un contrastant vivement avec les bruns foncés de l’autre. L’observation se mesure à l’imagination. Dans le dossier qu’il nomme Idée/Finalité, l’auteur met en valeur, cinq exemples à l’appui, le rôle fondateur d’un dessin, maillon de base du parcours créatif qui se retrouve ensuite dans la peinture achevée sur la toile ou le panneau. L’étude à la pierre noire du Persée académique que Mengs exécute auparavant annonce le Persée qui délivre Andromède qu’il réalise au pinceau en 1776, tout comme les cinq têtes à la plume et encre brune que Ludovico Mazzolino trace en 1524 se retrouvent, à quelques différences près, sur le tableau fini. Une logique similaire permet de mettre en miroir les uns des autres dessins, gravures et eaux-fortes, comme on le voit dans le Rhinocéros de Dürer, de 1515, plume et encre d’un côté et gravure sur bois de l’autre ou dans le Saint Jérôme de Rembrandt, dessin à l’encre brune et plume contre eau-forte et pointe sèche du même Rembrandt. Dans les deux cas, derrière les disparités de valeurs et les nuances des détails, apparaît la liberté d’interpréter de leurs auteurs.


L’art, on le dit souvent, est une reformulation que le temps se charge de valider ou de contredire. Tout artiste part d’un modèle, se sert de référence, puise son inspiration chez d’autres, avant de la filtrer et de lui donner sa véritable identité, comme une nouvelle naissance. L’œil et la main se font mieux au contact des maîtres, acquièrent souplesse, assurance, souffle. « Le véritable artiste crée, même en copiant », disait Gustave Le Bon. Une sanguine de Watteau, de 1714, représentant un Satyre embrassant une nymphe renvoie à Rubens. Goya à son tour s’exerce en allant chercher chez son compatriote Velázquez le portrait du nain don Diego de Acedo, mais il lui donne des accents personnels qui satisfont davantage à son goût et son projet d’en tirer par la suite une gravure.

Au milieu du livre, un cahier comporte huit leçons à prendre comme autant d’éclairages et d’explications autour des notions primordiales que sont l’académie, la contre-épreuve, la caricature, le dessin contrat, le dessin de composition...A chaque fois un exemple pris chez un peintre qui a prouvé son talent dans le genre, comme Boucher, Pourbus, Giambattista Tiepolo, Hubert Robert et Delacroix, sert de fil conducteur.


Recueil de morceaux choisis, l’anthologie dériverait du grec « cueillir des fleurs ». On a longtemps utilisé ce mot dans les domaines de la littérature et de la musique. Le voici mis à l’honneur dans celui de l’art, et plus particulièrement dans celui du dessin, ce mode d’expression « au cœur de la démarche d’un artiste ». Entre création et formation, préparation ou aboutissement en soi, le dessin fait accéder à « un univers où la réalité est transfigurée ». Les feuilles choisies par Edwart Vignot parmi tant et tant d’autres traduisent bien ce qui l’anime, la passion et la curiosité. Deux mots pour inviter le lecteur à s’embarquer dans cette aventure esthétique, bien servie par la qualité des illustrations et du papier ivoire qui les met en relief.  


Dominique Vergnon


Edwart Vignot, Anthologie curieuse et passionnée du dessin, la leçon des maîtres, du drapé aux portraits ; collection Histoire de l’art, 180 illustrations, 22x28cm, Beaux-Arts éditions,  septembre 2012, 240 pages, 39,50 euros.

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