Suivez le regard de Bruno de Baecque : Les plus belles fesses du Louvre

J’ai un vilain défaut : devant une sculpture, je ne parviens pas à dominer mon irrésistible attrait vers ces formes où la densité (marbre, plomb, céramique, zinc) est si changeante, il faut que je touche, ce qui donne très souvent lieu à une jolie partie de cache-cache avec les gardiens, dont la plus mémorable fut à la Douane de mer, à Venise, en 2011, quand je voulais à tout prix toucher la bouée suspendue de Jeff Koons et que je ne parvenais pas à me défaire de la gardienne de la salle qui devait avoir un sixième sens car, dès mon entrée elle me colla aux basques. Mais j’avais mon arme fatale avec moi : ma fille de onze ans fut envoyée vers le chien, à l’autre bout de la pièce, les mains bien en évidence, pour que je parvienne à voler quatre secondes grâce auxquelles je fus transpercé par cette sensation déconcertante : vous posez vos mains sur une bouée d’enfant d’un tel réalisme que vous pensez réellement toucher un objet de quelques centaines de grammes quand vous entrez en collision avec une tonne de béton et d’acier (la chaîne qui la retient n’est donc pas en plastique, sic !) et ce choc émotionnel fait partie de l’œuvre, car provoquée par ladite il participe à la magie du spectacle : cette bouée n’est pas une bouée, ce que vous voyez n’est pas ce que vous croyez voir.

 

Il en va ainsi de toutes sculptures, et notamment de ces nues qui hantent le Louvre, surtout si vous faîtes l’effort de vous déplacer. N’oubliez jamais qu’une sculpture n’est pas un à-plat, ce n’est pas une peinture ou un dessin, c’est une œuvre en trois dimensions il convient donc de lui tourner autour : il y a un devant et un derrière !



Et quelle face B, c’est un peu comme au temps des disques vinyles que nos plus jeunes lecteurs ne connaissent pas, mais un temps béni, oui, que celui des 45 tours, il y avait (presque) toujours une divine surprise quand on retournait le disque (et dire que certains n’y pensaient même pas, obnubilés par le tube du moment). L’autre côté, comme celui de la sculpture, offre des perspectives insoupçonnées, et surtout lorsque cela provient d’une œuvre de nue…

 

Bruno de Baecque anime Les plus belles fesses du Louvre depuis plus de treize ans, autant dire qu’il sait de quoi il parle. En ouvrant ce petit précis de rondeurs excises, vous apprendrez à regarder autrement, mais pas uniquement les fesses, car il y a aussi les cuisses, les seins, les lèvres, les ventres, les sexes ; autant de bonnes raisons d’aller au musée, me diriez-vous, mais je vous arrête tout de suite : rien de scabreux à l’horizon ! Nous sommes dans le délice de la beauté, vous savez ce terme désormais abscons et banni du monde digital dans lequel vous vous vautrez à longueur de temps, oui, la beauté, cet indispensable atout à la vie pour ne pas devenir fou.

 

Beauté ici conjuguée sur la ligne magistrale de la liberté incarnée dans des œuvres d’art qui mettront – aussi – à nu votre propre émotion. Que cela rappelle un souvenir ou libère une résistance envers un possible bonheur tout simple. Regarder provoque aussi du plaisir, et en vous donnant le temps d’observer au plus près (voire de toucher si vous en avez l’occasion), l’œuvre va pénétrer au plus profond de vous-même et diffuser lentement son essence. Une drogue dure, la beauté.



Captivé, hypnotisé, fasciné, vous n’aurez d’yeux que pour ces postérieurs hors du temps, ici magnifiquement croqués au crayon gras par Joëlle Jolivet (d’Adonis à Mercure, de Marie-Madeleine à la Nymphe au bain, de L’Odalisque à Angélique, de La Mort de Sardanapale à La Vénus de Milo), vous les dévorerez littéralement des yeux quitte, un peu plus tard, à oser (enfin !) laisser votre regard se poser longuement sur ces fesses aimées si proches de vous, à vos côtés, ces fesses « qu’on aime tendrement, gravement, lentement, dès qu’on découvre que rien d’autre ne vaut ça : le temps passé à contempler, à lui dire que ses fesses sont belles. Le temps que nous passons à regarder une œuvre donne sa mesure au regard : d’abord nous restons les yeux sur sa surface, sa peau […] elle nous emmène dans notre jardin secret, où nos désirs endormis se réveillent en douceur. Regarder l’œuvre aiguise notre regard sur nous-mêmes. »

 

François Xavier

 

Bruno de Baecque, Les plus belles fesses du Louvre, 16 croquis au crayon gras en N&B de Joëlle Jolivet, 150 x 210, Séguier, octobre 2013, 92 p. – 16,00 €

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