Klimt, une éclatante rupture

Mieux que provoquer, rompre avec une tradition qui dans la Vienne impériale équivaut à un dogme social. Alors que Klimt (1862-1918) est un jeune décorateur médaillé et apprécié parce que calé sur l’académisme en vigueur, les censeurs refusent d’accrocher ses trois compositions destinées à l’université, Philosophie, Médecine, Jurisprudence, jugées scandaleuses. La rupture, en germe depuis la création en 1897 de la revue Ver Sacrum (Printemps Sacré), est consommée. La Frise Beethoven, peinte pour la 14ème exposition de 1902 au Pavillon de la Sécession, dépassant les 34 mètres, est la manifestation libre et éclatante du génie de son auteur qui, reliant hiératisme et symbolisme, associe comme personne ne l’a fait avant lui sujets, styles et matériaux. Une photo de 1902 montre l’installation vue de la salle latérale gauche de cette longue épopée murale. En écho aux notes du compositeur répondent les « figures féminines ondoyantes » nées des désirs du créateur. La reconstitution de l’original faite à l’occasion de cette exposition donne au visiteur une idée du lyrisme des rythmes et des couleurs, signes aussitôt identifiés de la signature brillante et inimitable de Klimt. 



Drame serti dans un scintillement doré, le célèbre tableau Judith venu du Belvédère est un des jalons majeurs des pages du livre comme du parcours qui fait revivre, à travers peintures, dessins, céramiques, sculptures, mobilier, ce renouveau des arts qui irrigua l’ensemble de la culture de la Mitteleuropa.

 

Rapportée au contexte local, l’histoire de cette Judith est en soi passionnante. Klimt se documente, il fait des croquis, il choisit une légère contre-plongée. Le procédé habile accroît le charme dominateur, la douceur prête à tuer, le regard voilé par l’effroi, les lèvres entrouvertes par la jouissance de la victoire qu’éprouve la jeune veuve qui « pénètre désarmée dans le campement d’Holopherne - qui est séduit par sa beauté - et elle le décapite avec son épée ». La tête tranchée du général est en bas, à droite, réduite de moitié, l’œil clos. Renouant dans le chapitre sur Judith les fils de l’existence de cette héroïne avec ceux de la genèse du tableau, l’auteur précise notamment que Klimt prit pour modèle le visage de la soprano Anna von Mildenburg, qui chantait du Wagner.  

 

Autour de Klimt se distinguent des figures puissantes, Egon Schiele, Oscar Kokoschka, Koloman Moser, Otto Wagner et quelques autres artistes moins connus mais intéressants à découvrir, illustrant ce vaste mouvement devenu une des sources de l’expressionisme et de la modernité. Vienne partageait alors avec Paris la culture européenne. « Les mystères de l’esprit que Sigmund Freud met à cette époque en avant avec la fondation de la psychanalyse, inspirent les artistes qui vont explorer les thèmes des émotions et des rêves » écrit Agnes Husslein-Arco, directrice du Belvédère. 



Au cœur de l’énigme, fragiles et fatales, s’interposent les femmes aux origines des fécondités dont les artistes captent au creux des corps les agréments de leurs personnes ; tous se mesurent aussi bien avec les égéries et les muses qu’avec les démones. Leurs inconscients soulignent combien l’écart est grand entre cette femme qui arbore en écharpe un terrible serpent (Franz von Stuck) et ces petites filles songeuses (Max Kurzweil). Les allégories servent autant la sensualité que l’innocence. Page après page, les années décisives de la Sécession défilent et fascinent.

 

Dominique Vergnon

 

Alfred Weidinger, Au temps de  Klimt, la Sécession à Vienne, 24Ore Cultura-Pinacothèque de Paris, février 2015, 224 pages, 200 illustrations, 28x31 cm, 45 euros.    

 

 

 

 

 

 

 

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