Sombre Eros et sombre Europe : Arnaud Cohen

Apparemment moulées dans les lutrins paisibles du langage admis, les sculptures d’Arnaud Cohen créent un psautier du silence où l’Eros prend des accents différents selon les expositions du créateur. Celui-là  est parfois rose et enjoué. Mais parfois il se fait plus grave, impressionnant et critique. D’autant qu’ici angelots suspects, égéries tirées des réserves du Musée de Sens et « remixées » par les scénographies du créateur imposent une majesté érotique  qui n’est plus là pour faire germer les fantasmes.


Les séductrices sont de belles indifférentes, elles toisent de haut le regardeur. Leurs pauses n’appellent pas la caresse. De leurs  « mains runiques » elles semblent les éloigner. En groupe mais dans leur splendide isolement elles sont des odalisques, des Lilith. Elles provoquent des interrogations par l’histoire qu’elles rameutent. Elle soulignent - en se servant de "restes" de la civilisation occidentale - le déclin de monde occidental et de l’art lorsqu’il cultive la mollesse. A l'inverse si les femmes de Cohen  demeurent  fantomales, elle sont dans le dur. Plus rien  ne les agitent même si elles jouent de leurs charmes. Car elles ont un rôle particulier : les éventuels fornicateurs sont révolus mais - à les regarder de près - elles électrisent avec froideur et humour les Janus somnolents du monde avachi.


Face à elles ils ne sont  qu’amas de brindilles même si des ténèbres de l’être surgissent frissons et  rafales glacés dont il faut subir l’impact. Une  forme d’éternité s’impose toutefois  aucune clé ne peut en forcer le passage. Chaque sculpture porte la femme au zénith : mais pas celui espéré : seule la médiation s’impose. Elle est récoltée à l’aube de nos peurs et de nos attentes comme à la fin, au moment de  l’Apocalypse. A la pesanteur de  viscères s’oppose une froideur majestueuse qui rappelle l’homme l’ordre là où, pourtant, louvoie  une forme de volupté.


Seule la caresse du regard sera permise. Elle passe sur la peau du temps afin de remonter l’histoire - du moins  ce qu’on en sait.  Il convient de se laisser emporter en une sensation de vertige pour la pure émergence. Elle est proposée non pour supporter l’existence mais pour la soulever. Tant que faire se peut. Arnaud Cohen rappelle qu’il y a urgence.

 

Jean-Paul Gavard-Perrret


Arnaud Cohen, « Remission + Retrospection », Musées de Sens et Palais Synodal, Sens,14 juin 2015 – 20 septembre 2015 

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