La Collection Beyeler : voyage à travers l’histoire de l’art

Depuis son inauguration, en octobre 1997, la Fondation Beyeler à Riehen près de Bâle, s’est imposée comme l’un des hauts lieux de l’art moderne, un havre de paix en ces temps troublés où le venin de l’art contemporain s’insinue un peu partout. Exit donc le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana (avec regret mais les programmations catastrophiques de ces dernières années m’ont convaincu de n’y plus remettre les pieds) et cap sur Bâle, la ville de Roger Federer…
Il y a tout d’abord, tout comme chez Maeght, à Saint-Paul, la fascination du lieu : cet extraordinaire musée, conçu par Renzo Piano, tout de verre, béton brut et pierres, se cache dans parc qui abrite des sculptures monumentales, dont un impressionnant Calder.

On chemine dans les allées ombragées, on flâne dans le jardin d’hiver, farniente dans les canapés avec une monographie sur les genoux, on déambule dans les salles, on y est bien, il y règne une atmosphère si particulière, une ambiance propice à l’apaisement que l’on ne retrouve qu’en Suisse, mystérieux pays qui a su conserver ce climat tendre et reposant. En descendant du train, on a l’impression d’arriver sur une autre planète…
Alors on ouvre les yeux, on écoute le sifflement de la brise dans les arbres, et on se plonge dans la collection qui compte près de 230 chefs-d’œuvre de l’art moderne, de Cézanne à Warhol et Rothko en passant par van Gogh, Klee, Miró et Picasso qui en font l’une des collections d’art privées les plus renommées.

 

Combien de galeristes sont devenus des collectionneurs ? En un demi-siècle, on peut en dénombrer trois : Heinz Berggruen (dont la collection d’œuvres de Picasso et de postimpressionnistes a trouvé son écrin dans le musée qui porte son nom à Berlin-Charlottenbourg) et Thomas Ammann (dont la collection n’existe plus dans sa forme initiale), qui a tout appris d’un certain Ernst Beyeler.

Lequel est bien l’exception dans cette  micro-liste car il a entrepris la constitution d’un musée d’une rare beauté et créé une fondation pour sécuriser le projet. Une réalisation qui n’a pas d’égale. Et n’avancez surtout pas le nom des Maeght, car Aimé n’a construit sa fondation que pour échapper aux griffes de l’administration fiscale, et sa collection n’est que le fruit de relations pas toujours aimables – pour ne pas dire honnêtes – vis-à-vis des artistes. Il y a une énorme différence entre la légende pour touristes et la réalité de la saga des Maeght…
La richesse de la collection Beyeler tient également au fait qu’Ernst avait un don, cet œil qui devinait ce qui allait advenir ; ainsi mit-il de côté pour sa propre collection certaines œuvres tellement en avance sur le temps ou insolite qu’il ne leur trouvait pas acquéreur. C’est le cas, par exemple, pour Improvisation 10 de Kandinsky, mais aussi des pièces de Klee, Picasso, Matisse, Mondrian et Léger… La collection se composa lentement, avec une accélération dans les années 1980.

« Les tableaux que je vends me font vivre, mais ceux que je ne vends pas m’enrichissent. »

 

En soixante années d’activité de galeriste, Ernst Beyeler a examiné, sondé chaque rencontre, jusqu’à ce que le coup de foudre se produise, sans s’interdire, sans chapelle. La collection embrasse donc également toiles et sculptures européennes et américaines mais aussi l’art africain et océanien…
Une collection sans complaisance, des œuvres fortes qui donnent, à qui saura les apprivoiser, ce qu’elles ont de meilleur. Elles ne pouvaient donc se contenter d’un cadre privé, de pièces « normales » : le musée s’imposa.

Parcourir cette collection aiguise le regard et développe un certain sens de la qualité ; il n’y a pas d’œuvre mineure ici. C’est une partie de l’histoire de l’art que l’on visite, une part importante.
Quelques chiffres : Picasso (33 pièces), Braque (une toile de 1911 et un papier collé de 1912), Matisse (10 œuvres), Mondrian (7 tableaux), Léger (12 toiles), Miro, (6 peintures), Max Ernst (3 tableaux, 3 sculptures), Klee (20 œuvres sur toile ou papier), Bacon (4 peintures), Dubuffet (12 œuvres)… et Improvisation 10, de Kandinsky en pierre angulaire. Axe de rotation de toute la collection, ce tableau, dont l’histoire est abracadabrante – acheté, vendu, racheté, fruit d’un marchandage, attaqué en justice, dédommagé – marque la volonté de Beyeler de devenir un collectionneur envers et contre tout – et tous – et cela malgré son métier de galeriste, donc de devoir acheter-vendre.

 

 

Cette très belle édition a été mise à jour et augmentée à l’occasion des dix ans du Musée de la Fondation Beyeler. Elle contient de remarquables reproductions des 230 peintures, sculptures et travaux sur papier. Et s’accompagne de textes et commentaires sur la genèse du projet et l’articulation des pièces de la collection.

 

François Xavier

Collectif, Collection Beyeler, préface de Jorge Semprün, 243 reproductions et photographies, dont 231 en couleurs, 250 x 300, broché, couverture souple à larges rabats, Fondation Beyeler, 2008, 352 p. - 68,00 CHF ou 62,00 EUR

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