Le Cavalier bleu à la Fondation Beyeler

Kandinsky est le peintre le plus important du XXe siècle – avec Picasso – un artiste qui œuvrait dans la quête spirituelle tout autant que dans la recherche chromatique. Pour lui, peindre n’était pas une finalité ni un simple medium mais une partie d’un tout qui visait à cheminer sur les sentes escarpées du romantisme allemand et du mysticisme russe.
Mais n’oublions pas que Kandinsky est aussi philosophe, comme nous l’a dépeint Philippe Sers, un chercheur de sens dans cette nature qu’il perçoit comme étant une œuvre d’art, à part entière. Et la lumière, une manifestation de l’énergie divine que, peut-être, si l’on s’y prend correctement, le peintre, avec le jeu astucieux des couleurs, pourrait exploiter pour ouvrir une voie vers une certaine vérité métaphysique… Avec comme point de mire, ce graal impossible, le tableau absolu…  

Mais avant, quel chemin à parcourir… Et sachant que l’union fait la force, Wassily Kandinsky va enrôler ses amis August Macke et  Franz Marc dans la réalisation d’un drôle d’almanach, sorte d’annuaire protéiforme qui s’articulera selon les humeurs et les artistes invités (poètes, compositeurs, historiens de l’art) ; un projet fou dont l’idée germe dans son esprit en novembre 1911 et qui voit le jour en mai 1912.

 

Les éditions Piper-Verlag de Munich publient Der Blaue Reiter/Le Cavalier bleu qui devient par la suite le nom de reconnaissance d’une certaine idée de l’expressionisme libéré des contraintes de réalité formelle, axant plutôt leur approche vers une quête d’harmonie chromatique.

Franz Marc peindra ses fameux chevaux bleus – qui, à eux seuls, méritent le voyage, car vous n’êtes pas près de les revoir, à moins de vous envoler pour Minneapolis – et son renard parme puis sa vache jaune, notamment, qui le font entrer dans l’histoire de la peinture par la grande porte… qu’une mort soudaine (mars 1916) fige dans la légende : son œuvre, relativement mince, est extraordinairement populaire, notamment en Allemagne aujourd’hui, lui l’artiste dégénéré que le national-socialisme avait banni.

 

 

Les Grands chevaux bleus, Franz Marc (1911)
Huile sur toile, 105 x 181 cm, Collection Walker Art Center, Minneapolis, donation de T.B. Walker Foundation,
Gilbert M. Walker Fund, 1942
(cliquez sur l'image pour la voir en grand)

 

« Il me semble naturel de chercher la renaissance de notre sentiment artistique dans cette froide aurore de l’intelligence, plutôt que dans des cultures qui ont déjà parcouru un chemin millénaire, comme les Japonais ou la Renaissance italienne. »
Lettre de Franz Marc à August Macke, 14 janvier 1911

 

 

Marc ne s’attardait pas au sens strict de la reproduction mais plutôt à la représentation de son aura, cette manière de briller que seule la nature permet. Il rejette l’expression première et archaïque au profit d’une renaissance des esprits, du respect de la cause animale, du rejet d’une société uniquement basée sur la technologie ; bref, un certain scepticisme envers le progrès.
Seule compte la volonté d’homogénéité parmi les couleurs qui habillent la multiplicité des formes qui signalent une nature expressive.

 

 

Wassily Kandinsky, Murnau – la place du marché avec montagnes, 1908, huile sur carton, collection privée
(cliquez sur l'image pour la voir en grand)

 

Cette très belle exposition vous mettra en présence de près de 70 œuvres marquantes – sur un total de plus de 90 objets – dont le fameux almanach.

 

Un parcours – agrémenté d’une salle multimédia qui s’attache à mettre en évidence le caractère international des artistes du groupe, et d’un cabinet de curiosités – qui vous explique parfaitement cette évolution picturale qui ébranla la peinture entre 1908 et 1914.
Un programme-manifeste qui tient dans ce Cavalier bleu, clin d’œil que cet emblème surgi au détour d’une conversation qui résume leurs intentions : le bleu, couleur cosmique, s’associe à la sérénité naturelle de l’animal et à la dynamique du cavalier en saut, qui franchit toutes les barrières. Symbole qui sera reprit soixante ans plus tard par Kijno et son célèbre Cavalier de la paix…

Le parcours s’ancre dans le temps en 1908, il faut bien débuter une histoire à une date donnée. Or, cette année-là, Kandinsky – qui vivait en union libre avec Gabriele Münter – fit la connaissance à Murnau, en Haute-Bavière, d’un autre couple vivant, eux aussi, sans être marié : Marianne von Werefkin et Alexej von Jawlensky.
L’année suivante, Münter acheta une maison dans le petit village (qui existe toujours) dans laquelle ils passèrent tous leurs étés jusqu’en 1914…

 

 

 

 

Un retour à la campagne pour une vie simple, loin de cette civilisation qui aliène. Le couple – et le groupe – professait une réforme des esprits pour une société qui prendrait un nouveau départ. En commençant aussi par mixer les formes d’expression : Kandinsky s’intéressa à l’art populaire et notamment à la peinture sur verre, typique de cette région. Idée reprise dans l’almanach qui alla jusqu’à présenter des dessins d’enfants, des images votives et des œuvres d’art africaines. Éclectisme semble bien être le mot clé.

Cette volonté de mixité portera donc le Cavalier bleu à défendre l’idée que l’art est synesthésique, qu’il franchit allègrement frontières et cultures, formes et concepts, car il est avant tout un langage.
En effet, les Composition que Kandinsky va numéroter par la suite sont, en quelque sorte, construite comme l’est une œuvre musicale et s’il emploie ce terme qui sied plus à la musique qu’à la peinture, c’est à dessein, pour retourner l’idée reçue et démontrer que la structure d’une œuvre d’art est, elle aussi, composée.
Une perspective à garder en mémoire quand vous serez face au légendaire Composition VII (1913 – galerie Tretiakov) cet immense tableau de deux mètres sur trois dont les abstractions vous hypnotisent littéralement.

 

De même la couleur : elle peut être sonore, un ton peut inciter une tonalité auquel s’ajoute le rythme que l’œil marque en balayant le tableau, lequel n’est pas l’expression de gestes techniques, mais un instrument facilitateur qui vient s’interposer entre le regardeur et le ressenti, cette sorte d’extase intérieure provoquée par la réception de l’œuvre.

 

 

 

Alexej von Jawlensky, Murnau – Paysage, nuage orange, 1909,
huile sur carton, Collection privée

(cliquez sur l'image pour la voir en grand)

 

 

François Xavier

 

Collectif, Kandinsky, Marc & Der Blaue Reiter, 90 reproductions couleur, 270 x 310, relié, couverture cartonnée, Fondation Beyeler, septembre 2016 190 p. – 62,50 CHF ou 57,00 EUR

 

Kandinsky, Marc & Der Blaue Reiter
4 SEPTEMBRE 2016 – 22 JANVIER 2017

FONDATION BEYELER
Baselstrasse 101
CH-4125 Riehen/Bâle
Tél. + 41 61 645 97 00
Fax + 41 61 645 97 19
E-Mail : info@fondationbeyeler.ch

Tous les jours de 10 h à 18 h, le mercredi de 10 h à 20 h.
Le musée est ouvert le dimanche et les jours fériés.

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