Alma-Tadema, un fastueux metteur en scène

Blanc avec d’imperceptibles veines bleutées, ou alors traversé de fines nervures vertes, ici porphyre et basalte, là jaspe et onyx, partout élément essentiel du décor dans lequel se jouent les différents actes des comédies et des drames dont Alma-Tadema, en vrai témoin oculaire, se fait le brillant narrateur, le marbre a dans un grand nombre de ses tableaux la force d’un personnage. Sa splendeur et sa dureté n’interviennent pas que pour structurer la composition, dès le premier plan et dans le même temps, elles leur assurent majesté et intimité. On le voit dans ce moment de tendresse intitulé A Kiss (Un baiser, huile sur panneau, 1891). Peu nombreux sont les peintres à lui avoir donné le privilège d’être une matière vivante et de participer de cette manière à l’action. Ce n’est pas sans raison qu’Alma-Tadema a été surnommé « le peintre du marbre ».

 

Mais ce serait trop réduire son œuvre que de n’en retenir que cette seule présence froide. Lawrence Alma-Tadema est également le peintre des longues toges romaines, des robes élégantes et légères, des fleurs qui s’épanouissent, des intérieurs accueillants, des nymphes au bain, des portiques et des villas italiennes. Il a surtout le don rare de savoir passer d’une époque à l’autre, de les identifier avec des repères esthétiques éloquents et de remonter l’histoire, jusqu’à ses origines, pour s’en faire l’architecte audacieux. Car ce qui l’intéresse d’abord, ce sont les grandes civilisations du passé, nées en Egypte, en Grèce, à Rome. Il s’éprend des hauts faits au temps des pharaons, des gladiateurs de Quo Vadis, de la geste mérovingienne, des amours romantiques. La femme est tour à tour la vestale, l’héroïne, la mère, la muse, l’égérie fatale. Quand il a visité le British Museum en 1862 - il a alors 26 ans - la frise du Parthénon l’éblouit et marquera un jalon d’importance dans son travail. Son voyage l’année suivante en Italie, à l’occasion de son voyage de noces, sera comme une seconde découverte de la beauté et de la grandeur antiques. Des vestiges de Pompéi, il a tiré non seulement les sujets de tableaux magnifiques mais aussi le goût de la couleur rouge sombre qui prévaut sur les autres, comme on le voit dans Agrippine rendant visite aux cendres de Germanicus (huile sur panneau, 1866).

 

Alma-Tadema naît en 1836, un an avant le couronnement de la reine Victoria. Il meurt en 1912, à la veille du premier grand conflit mondial. Son existence se déroule donc dans un vaste contexte où, alors que l’économie va croître comme jamais auparavant jusqu’au déclin des années 1870, se développe en parallèle dans la société anglaise les désirs de puritanisme, de culture et d’esthétisme raffinés, poussés presque jusqu’à l’outrance. La bourgeoisie se passionne pour l’archéologie. Passé par l’Académie d’Anvers, encouragé par le marchand d'art belge Ernest Gambart, il se lance dans une carrière dont il va entretenir avec soin le succès. La lumière envahit les couleurs, celles-ci se font poésies descriptives et ainsi conquièrent l’espace. 



Alma-Tadema s’impose comme un merveilleux metteur en scène, agençant tout un récit selon d’éblouissantes perspectives, des harmonies de tons à la fois savantes et séduisantes, des prouesses de rendu et d’effets. Sa technique, sans cesse se confirmant, lui permet de traduire les épisodes qu’il choisit avec une intensité et une véracité qui pénètrent la mémoire. Il est aussi à l’aise et maître des cérémonies dans les petits formats que dans les grands. Le célèbre tableau Les Roses d’Héliogabale, exposé à la Royal Academy à Londres, relate avec une délicatesse étudiée la cruauté du jeune empereur syrien débauché qui répand une pluie de roses sur ses invités, périssant étouffés.



En marge des œuvres, de superbes objets - meubles, vaisselles, vêtements - sont présentés, soulignant combien Alma-Tadema les utilise comme des répertoires de formes et les transpose sur ses tableaux, tels quels. Sachant avec habileté accroître les dimensions des lieux, il insiste sur les détails qui concourent à rendre encore plus vécue la réalité. Une réalité certes idéalisée, grandiose parfois, mais qui reste humaine et chaleureuse. Dans la dernière salle, la mise en regard de certains tableaux du peintre et d’extraits de films réalisés par de grands noms du cinéma comme Louis Feuillade, Eleuterio Rodolfi, Cecil B. de Mille ou encore Ridley Scott, prouvent qu’ils ont directement puisé chez lui leurs idées (La Découverte de Moïse, 1904).

                                                                                                                                

Après la renommée, est venu l’oubli. Il a été jugé « kitsch », on lui reprocha le manque d’émotivité de son style, trop perfectionniste, son sens trop théâtral. Il a été critiqué par John Ruskin, défendant Turner. On ne le prenait pas au sérieux au début de sa carrière. Les élites et le public un beau jour le louèrent sans réserve. Il a inspiré Klimt, il a eu des liens d’amitié avec Jean-Léon Gérôme. Il est aujourd’hui un peintre reconnu, qui évoque une sorte d’âge d’or rêvé, quand l’académique était un absolu gouvernant les arts. Il représente une période de fastes, il évite le mysticisme des Préraphaélites.

 

Réunissant environ 80 œuvres, cette vaste exposition, première grande rétrospective depuis celle, plus limitée, de 1996, permet de suivre dans toute la diversité de son parcours artistique et personnel ce fils de notaire d’un village de la Frise, Dronryp, une petite localité située au nord des Pays-Bas, devenu un riche artiste possédant un monumental hôtel particulier londonien, anobli par la reine. Réussie, bien que non exempte de drames qui le touchent de plein fouet, notamment la mort de sa jeune-femme et d’un fils, c’est l’existence d’un artiste chez lui dans l’Antiquité qui se déploie. Sa seconde épouse, Laura Epps, s’affirma comme une artiste de talent. Plusieurs de ses œuvres sont exposées. Le Fries Museum de Leeuwarden accueille une manifestation à la hauteur du peintre. Avec Mata Hari l’an prochain puis M. C. Escher en 2018, la ville ouvre ainsi le cycle des manifestations qui marquent le fait qu’elle sera en 2018, Capitale Européenne de la Culture.

 

Dominique Vergnon

 

Elizabeth Prettejohn, Peter Trippi, Lawrence Alma-Tadema, at Home with Antiquity, 240 pages, 246 illustrations, 24x30 cm, septembre 2016, 50 euros.


www.friesmuseum.nl; jusqu’au 7 février 2017    

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