Trésors de jade

Quatre-vingt-huit années d’existence, soixante ans de règne, Qianlong est « protégé du Ciel ». Il collectionne les belles œuvres. Il est fin lettré. En plus du prestige, il a du goût. Cet « l’empereur de la plénitude », ainsi qu’il se définit lui-même, aime particulièrement le jade. C’est un esthète qui a en outre beaucoup écrit. Dans des centaines de textes, il parle de cette pierre dont il marque la valeur en notant que « le beau jade est comparable à l’homme accompli ». C’est à dire l’être plein de ces vertus que Confucius évoque en les comparant précisément au jade. Bonté, beauté, prudence, finesse, solidité, pureté, longévité, pour toutes ces rares qualités, cette « substance minérale naturelle a gagné le statut de gemme ». Les minéraux aux noms savants se sont assemblés, la chimie secrète de la terre a façonné une roche précieuse riche des plus délicates nuances de vert et qui au terme de sa métamorphose devient un joyau d’esthétique. Le jade est un cadeau inestimable fait à la civilisation chinoise qui l’a placé au niveau des symboles, de la morale, de la poésie, des jugements. Un dicton chinois le dit, si la valeur de l’or est estimable, celle du jade ne l’est pas !

 

Sous la férule de Qianlong, on ne travaille pas le jade comme une autre pierre. « Il avait ainsi fait promulguer un décret impérial disposant qu’il pouvait intervenir pendant tout le processus de création pour d’éventuelles rectifications afin que le style rejoigne ses exigences esthétiques ». Les résultats gagnent en beauté au-delà des attentes. On ajoure le matériau qui acquiert toujours plus de transparence, on ajoute des ornements, on imite l’antique. Les contours des pièces, leurs volumes, les motifs atteignent une sorte de perfection idéale, céleste, épurée, comme en témoignent ces vases à décors archaïsants, cet écran de table rectangulaire où des sages se rencontrent à l’abri d’une forêt de bambous, cette montagne miniature shanzi, ce flacon à tabac à décor de dragon. Il faut en détailler lentement les signes et les lignes pour percevoir l’incomparable prouesse et l’extraordinaire finesse de ces tailles. Pendant des millénaires et des siècles avant notre ère, le travail du jade, dont la dureté est telle qu’une pointe d’acier ne peut en rayer la surface, se faisait par abrasion, en ayant recours au quartz. Longue et minutieuse action. Peu à peu, la taille donnait les formes voulues, de plus en plus raffinées. Très rare exemple de la période néolithique, culture de Liangzhu, (Chine du Sud-Est), une plaque énigmatique, percée de trous faisant office de pupilles, évoque un masque humain.

 

A l’autre extrémité des temps et des lieux, un désir de Chine anime les collectionneurs et les marchands du monde entier. Ce ne sont plus les chinoiseries prisées sous le Second Empire, il s’agit d’objets et de bijoux Art déco tout aussi séduisants, comme ce nécessaire en or, platine, avec deux plaques de jadéite gravée d’animaux et de feuillages, marqueterie de nacre, corail, émail noir, diamants taille rose.

 

Des cultures datant de 6 000 ans avant J.C. aux dynasties Qing qui s’arrêtent en 1911, ces pages déroulent l’histoire de l’éternelle fascination exercée par le jade, cadeau des dieux qui inspira les artisans et les créateurs de tous les âges. L’inaltérable éclat de cette « parure naturelle » est restitué dans cet ouvrage qui relie la science à l’art, les symboles aux mythes, les rites à la poésie. Il accompagne la magnifique exposition qui se tient au musée Guimet, à Paris, rassemblant 330 pièces toutes aussi splendides les unes que les autres, exigeant un regard qui trouve sa récompense dans sa patience, venues pour beaucoup à titre exceptionnel de nombreuses institutions françaises et étrangères.

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Huei-chung Tsao, Jade, des empereurs à l’art déco, co-édition MNAAG/Somogy éditions d’art, 288 pages, 277 illustrations, 23,5x30,5 cm, septembre 2016, 38 euros.

 

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